Publié le mardi 9 mars 2010
Des syndicalistes, juristes et chercheurs se lancent dans un débat lors de l’interdiction de fait du syndicat FAU Berlin
Située place Rosa Luxemburg à Berlin, juste en face du cinéma « Babylon », se trouve le théâtre « Volksbühne » (La scène populaire) (1). C'est dans ce cinéma qu'est mené, avec le soutien de la FAU et de façon acharnée, depuis un an, un conflit social. Dans le théâtre se retrouvèrent le 30 janvier 2010 des syndicalistes, juristes et chercheurs autour d'une table pour discuter des nouvelles formes du travail et de l'organisation collective. Le débat s'est fait suite à l'appel de la FAU Berlin qui se voit privé des ses droits syndicaux par un tribunal berlinois.
D'abord un petit aperçu en vidéo sous-titré en français ...
Déjà les exposés d'entrée mettaient en évidence que les participants du débat jugeaient très explosif cet incident unique dans l'histoire de la République fédérale. Dr. Renate Hürtgen, historienne et co-fondatrice de l'« Initiative pour des syndicats indépendants » en RDA en 1989, appelait à prendre très au sérieux cette affaire. Selon elle, l'attaque faite à la FAU Berlin concerne tout le mouvement syndical : « Il se déroule quelque chose qui représente un danger pour toute structure représentative – et il ne faut pas diminuer le poids de cette affaire-là.» Le politologue Jocher Gester, militant au Groupe de travail Internationalisme de la IG Metall Berlin, insistait sur le point que le caractère syndical de la FAU Berlin, lui, a été anéanti à cause d'un manque présupposé de capacité à signer des conventions (2). De son avis, la décision du tribunal vise à empêcher que la FAU puisse même développer une puissance et devienne représentative. « La façon dont on traite la FAU, cette dernière étant sans doute indépendante de l'adversaire et essaie de construire une sorte de syndicat, démontre que le tribunal ne cherche pas à protéger la liberté syndicale mais n'affiche que du mépris à son encontre.»
La thèse qui dit que les changements sociaux en cours rendent nécessaires de nouvelles formes de coalitions de salariés a été soutenue dans de nombreuses prises de parole. L'auteur et journaliste Willi Hajek expliquait : « Je comprendrais [l'affaire de] la FAU comme symbole, car il y a un grand besoin. Voilà ce que les gens ressentent : maintenant il s'agit de notre existence, et nous devons faire quelque chose.» Il reconnaît dans ce conflit au Babylon, une nouvelle caractéristique qui serait typique de notre époque. Une époque dans laquelle la majorité des contrats de travail se trouvent hors des conventions collectives. L'avocat Klaus Stähle qui représente la FAU auprès du tribunal, évoquait qu'en Allemagne une convention collective n'est plus en vigueur que pour 50% des salariés à l'ouest et 25% des salariés à l'est. Il y aurait là un espace qui devrait être remplie. De même Dr. Renate Hürtgen y voyait un vacuum tout récent ; ce qui s'est développé au cinéma Babylon suite à la défaillance – dans ce cas – du syndicat DGB ver.di. D'où la légitimité dont disposent les salariés de s'organiser à la base. Willi Hajek reprenait cette idée en indiquant que la société ne peut être changée que s'il y a des organisations qui soutiennent les gens à se prendre en mains eux-mêmes. Le politologue Prof. Dr. Bodo Zeuner à son tour insiste en soulignant le fait qu'une organisation effective ne peux pas se priver de la solidarité, cette dernière étant un composant essentiel. Il considère donc insuffisant la perspective de ne construire que des syndicats d'entreprise autonomes : « C'est problématique que la solidarité nécessite pour des raisons tant morales que d'intérêt, une extension au-delà des groupes de collègues isolés. D'où la question de comment en assurer la coordination ? C'est là qu'il faut une organisation. Il faut faire gaffe qu'elle ne se coupe pas de la base et se centralise, mais l'organisation en tant que telle est une partie intégrale de la solidarité.»
En Allemagne, jusqu'ici, une autre conception de ce qu'est un syndicat prévalait, c'est ce qu'évoquait Holger Marcks qui participait au débat au nom de la FAU. La centralisation du mouvement ouvrier aurait mené, par la canalisation des conflits dans des voies contrôlables, à l'instauration d'une discipline ouvrière. L'efficacité de ce modèle serait reconnu par le fait que des économistes comprennent depuis peu, mais expressément, les syndicats centralisés comme facteur de compétitivité pour l'économie allemande. Le Prof. Dr. Bodo Zeuner insistait également sur le fait que ce rôle d'une force de l'ordre ne devait pas être la tâche primordiale des syndicats : « C'est un enjeu valable pour lequel il faut lutter et se mobiliser – dans le terrain public mais aussi au niveau juridique – pour que le droit du travail allemand cesse à considérer le maintien de l'ordre comme but principal d'un syndicat idéal.» L'avocat Stähle y consent et confirme la nécessité d'action au niveau juridique. La lutte serait à mener contre les structures de pensée juridique établies.
Au cours du débat avec la bonne centaine de personnes présentes, c'étaient tant les participants que le public qui ont déclaré à plusieurs reprises que les différents syndicats ne devraient pas se considérer comme concurrents, mais devraient travailler ensemble. Ce qui est une pratique réelle et normale dans de nombreux pays. Jochen Gester proposait que tout le monde devrait s'apercevoir comme partie intégrale d'un seul mouvement syndical et qu'il ne fallait pas se borner à opposer les modèles respectifs du DGB et de la FAU. Renate Hürtgen consenti qu'il ne s'agissait pas de comparer ou d'opposer les différentes formes d'organisation. Le DGB ne devrait pas craindre la FAU ni essayer de la réprimer. Tous devraient avoir l'intérêt de voir la FAU acceptée – même dans leur propre intérêt. Bodo Zeuner souhaitait que le syndicat ver.di fasse une déclaration contre l'interdiction de fait de la FAU Berlin. Même si la FAU aurait choisi un autre modèle d'organisation, elle devrait être considérée comme syndicat.
À la fin du débat, le public proposait de fonder un Comité contre la criminalisation de la FAU. Cette idée a été reprise par plusieurs intervenants. Il a été décidé de perpétuer l'échange et de rédiger une déclaration berlinoise.
Source : Indymedia Germany
Traduction : GT Europe au SI de la CNT et CCS 44 CNT
*) Le titre de « septicémie syndicale » fait allusion au non-mot de l'année qui est choisi – en parallèle avec le mot de l'année de la Société pour la langue allemande (Gesellschaft für deutsche Sprache, GfdS) – par un jury de philologues de l'Université Goethe à Francfort-sur-le-Main depuis 1994 pour inciter une réflexion linguistique critique. Pour l'année 2009, l'expression « septique du comité d'entreprise » (betriebsratsverseucht) a été attribué le titre du non-mot de l'année.
1) Tous les deux, le théâtre et le cinéma disposent d'une importante tradition, s'inscrivant à l'avant-garde moderne et du mouvement ouvrier (d'où le nom de la place). (N.d.trad.)
2) C'est que la décision prise est fondée sur l'hypothèse de la puissance manquante (en allem.: « Tarifmächtigkeit », c'est-à-dire la capacité d'établir des conventions, de forcer l'adversaire social), dans son rôle pour le syndicat ceci correspond à peu près à la représentativité en France ... La décision judiciaire empêche donc la FAU d'en faire preuve qu'elle peut forcer l'adversaire social concret. (N.d.trad.)
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