Dans le match parfois très violent qui oppose le peuple irlandais aux grands groupes d’énergie qu’elle soit nucléaire, pétrolière ou de fracturation hydraulique, le score est désormais 2-1. Le projet pour la construction de terminaux de gaz naturel liquéfié sur les rives de la Shannon dans le comté de Kerry, semble définitivement compromis.

C’est l’association Friends of the Irish Environment (FIE) qui le 15 février dernier, a marqué un deuxième but très technique à la Cour suprême irlandaise lorsqu’un juge a enjoint la société exploitante, Shannon LNG, à ne pas commencer les travaux. La raison ? Suite à une plainte de la FIE, le juge fut contraint de soumettre le dossier à la Cour de justice de l’Union européenne.

En effet, les Ami-es de l’environnement irlandais poursuivent an Bord Pleanála, le Conseil national d’aménagement, pour ne pas avoir respecté une directive européenne en matière de protection de l’environnement, alias la Directive habitat. D’après la FIE, le projet aurait des répercussions irréversibles sur la biodiversité locale de ce site naturel et en particulier pour les tursiops, ces grands dauphins qui ont choisi l’estuaire comme aire de reproduction.

Déjà, depuis 2008, l’opposition écologiste avait fait ralentir le projet à un tel point qu’en 2010, Shannon LNG a décidé de fermer son site web. Ensuite, le PDG de New Fortess Energy s’est vu obligé d’investir 35 millions de dollars de sa propre fortune pour sauver un projet qui génère de moins en moins d’enthousiasme et qui aujourd’hui, est au point mort en raison de la perspective des années de procédure à venir, mais surtout, à cause de la résistance planétaire contre l’irresponsabilité et le déni des décideurs en matière de réchauffement climatique.

Dans l’histoire contemporaine de l’île verte, il faut remonter en 1980 pour comprendre à quel point les autorités irlandaises ont été laxistes en matière de protection de l’environnement. C’est à cette époque-là, lors du débat public autour du projet gouvernemental visant la construction d’une centrale nucléaire à Carnsore Point, que le premier but populaire fut marqué. Grâce à la pression démocratique, le gouvernement a été forcé d’organiser un référendum dont le résultat fut un raz-de-marée qui a définitivement balayé toute tentative de mainmise nucléocrate. A part la contamination radioactive dans la Mer irlandaise issue d’une centrale britannique, l’Irlande reste une zone dénucléarisée. 1 – 0, donc, et avantage au peuple.
C’est Shell qui, il y a 10 ans, en compromettant le mauvais gouvernement irlandais, a su égaliser, lors de la mise en place d’un gazoduc à haute pression traversant le joli petit village de pêcheurs de Rossport dans l’ouest de l’Irlande.
La brutalité de la police irlandaise, lors de la répression contre la résistance populaire, n’a eu d’égal que celle des vigiles embauchés par Shell. Il s’agissait, en fait, d’une sorte de milice privée composée de mercenaires. Parmi eux, il y avait deux fascistes très dangereux qui, peu de temps après leur périple en Irlande, ont été impliqués et tués en Bolivie lors d’une tentative d’assassinat supposée sur la vie d’Evo Morales.

Aujourd’hui, Shell, malgré sa victoire, n’aura jamais la paix. Près du village de Rossport, il y a un camp qui protège la raffinerie, source du conflit. En regardant les miradors et les vigiles armés, votre correspondant avait l’impression d’être devant une caserne de soldats britanniques, ces forteresses typiques de la période la plus dure des Troubles en Irlande du nord.

Non, on n’est pas prêt d’oublier le conseil de James Connolly devant la Citizen’s Army peu de temps avant l’Insurrection de 1916 : « Même en temps de paix, gardez vos armes ! »

« Carnets de voyage ». Le dernier de deux articles par le GT Europe sur la situation actuelle en Irlande.
David (GT Europe)
Article publié dans Le Combat Syndicaliste n°444 (Avril 2019)