Secrétariat international de la CNT

Un nationalisme contre un autre ? Quand est-ce que ça s’arrête ?

Publié le lundi 28 février 2022

L’Ukraine est à nouveau au cœur de terrifiants enjeux militaires. Les habitants de ce pays sont encore une fois pris en étau entre les puissances impérialistes. D’une part l’OTAN et d’autre part la Fédération de Russie.
Un nouveau rideau de fer, cette-fois ci, un rideau de chars et de missiles, est déjà mis en place de la Biélorussie à la mer Noire [1].

Les racines du conflit sont profondes, mais elles sont à nu au moins depuis 2014. Cette année là, après 4 ans de gouvernement « attrape-tout » capitaliste pro-russe, un mouvement populaire chasse le gouvernement autoritaire de Viktor Ianoukovitch, lors de violents affrontements centrés autour de la place Maïdan à Kiev [2]. Malgré la répression sanglante des opposants.es, Ianoukovitch et sa clique sont contraints de s’enfuir en Russie. Les gouvernements ukrainiens successifs cherchent toujours à le retrouver et le condamner pour crime de masse.

Suite à cette révolution, un mouvement séparatiste pro-russe a fait sécession dans la région du Donbass, au sud-est du pays. Composé principalement de russophones nostalgiques de l’URSS et d’opérateurs de réseaux économiques plus ou moins légaux implantés en Russie, ce mouvement séparatiste a fait voter aux habitant.es de la région un rattachement des districts de Lougansk et Donetsk à la Fédération de Russie, conduisant à des affrontements entre des milices pro-russes et les forces militaires ukrainiennes. Depuis cette région est ultra militarisée et les populations locales vivent dans un régime permanent d’échanges militaires sporadiques. Les différentes milices et forces armées, aux allégeances confuses, imposent l’arbitraire comme mode de gouvernement.

Dès 2014, des organisations anarcho-syndicalistes et syndicalistes révolutionnaires existantes en Ukraine ont réagi face à cette guerre. Ils appelaient à la fin du conflit et à la démilitarisation totale, rappelant que ce jeu des empires écrasait toujours les populations. Elles avaient alors été soutenues par de nombreuses organisations à l’échelle internationale [3] .
La CRAS (Confédération Révolutionnaire Anarcho-Syndicaliste, branche de l’A.I.T en Ukraine) et la FAM (Fédération anarchiste de Moldavie) étaient des organisations actives dans le pays. Elles déclaraient alors :
“Nous ne succomberons pas aux intoxications nationalistes. Qu’ils aillent au diable avec leurs Etats, leurs nations, leurs drapeaux et leurs bureaux ! Ce n’est pas notre guerre, et nous ne devrions pas y aller, ni payer de notre sang leurs palaces, leurs comptes en banque et leurs plaisirs d’être à des postes d’autorité. Et si les patrons, à Moscou, Kiev, Lviv, Kharkiv, Donetsk, Simferopol, Washington et Bruxelles commencent cette guerre, notre devoir est d’y résister par tous les moyens possibles ! Pas de guerre entre les nations, pas de paix entre les classes ! [4]"

En 2014, la situation est loin d’être claire au Donbass. La présence, dans les deux camps de groupes nationalistes (voire ouvertement nazis comme le bataillon « Azov » qui veut purifier l’Ukraine ou les mercenaires du groupe « Wagner » opérant en soutien aux milices russophiles du Donbass) ainsi que les difficultés à s’informer avaient déclenché de nombreux débats au niveau international sur le soutien à apporter aux révoltés de Maïdan ainsi que sur la position à observer suite aux attaques dans le Donbass.
Les débats portaient sur des groupes internationalistes de soutien aux différents belligérants. Ainsi, durant cette période des militants se sont activés autour de groupes locaux, soit en envoyant du soutien matériel et financier, soit directement en envoyant des militants, comme le groupe basque Euskal Herria Donbass Komite [5] . Ce soutien direct aux séparatistes du Donbass avait déclenché un débat sur le caractère nationaliste de cet engagement dans le conflit. En effet la mouvance nationaliste et l’extrême droite ukrainienne, soutenues financièrement par des milliardaires ukrainiens, se sont aussi montré très actives dans le recrutement de volontaires pour participer à ces conflits. D’ailleurs, certains groupes d’extrême droite française, comme « génération identitaire », ont à l’époque envoyé des militants pour se battre sur place [6] , parfois les militants des organisations se retrouvant dans des lignes ennemies ou même sur les mêmes barricades... [7]

Dans le Donbass, comme ailleurs, ce sont toujours les populations qui subissent les enjeux des nationalismes et des impérialismes. Sur la radio France info le 12 février 2022, un journaliste interrogeait un habitant de la ville de Pavlopol (Donbass), représentant du conseil rural de la ville sur le conflit en cours et celui-ci répondit qu’il espérait toujours faire signer, au nom du conseil rural, un traité intitulé “la paix et du blé” aux deux belligérants, pro-russes et pro-européens [8].

Aujourd’hui en 2022, le mouvement révolutionnaire et anarcho-syndicaliste ukrainien est décrit comme divisé et affaibli. Par ailleurs, il est presque impossible de trouver des contacts avec les anciennes organisations. Elles auraient été dissoutes à la suite de conflits internes entraînant des scissions. D’après un entretien avec un ancien militant de la CRAS en Ukraine datant de 2014 [9], elles œuvrent dans la clandestinité actuellement.

A nouveau en 2022 ce sont des camarades militants dans les frontières de l’Etat espagnol qui réagissent rapidement par un communiqué à l’intensification des tensions. Cela se comprend car l'Etat espagnol est particulièrement impliqué dans l’O.T.A.N et les questions indépendantistes se mêlent aussi à ce conflit.

Le 2 Février dernier, la CNT espagnole (CNT-E) a publié en anglais sur le site de la Confédération Internationale du Travail (CIT/ICL) ce communiqué dont voici un extrait traduit en français :

“ Le conflit international déclenché et entretenu en Europe de l'Est ne profite qu'aux seuls intérêts de la minorité qui contrôle les ressources. Les menaces militaires de l'OTAN contre la Russie et la réponse de Moscou en mobilisant des troupes à sa frontière avec l'Ukraine ne peuvent être expliquées sans tenir compte du différend sous-jacent concernant l'accès aux ressources naturelles de l'Arctique, en particulier le gaz naturel, et les routes commerciales vers la Chine. La querelle sur le contrôle de ces ressources touche directement la majorité de la société, dont la vie devient de plus en plus chère à cause de ce conflit entre oligarchies internationales, qui se battent pour leur part du butin. Les conditions de vie de la classe ouvrière en Europe se détériorent ; pendant ce temps, nous sommes pris en otage. [...]
La CNT-E dénonce la participation du gouvernement espagnol à ces manœuvres contre la Russie. Nous exigeons l'abolition de l'OTAN et le démantèlement de ses structures. Nous exhortons la classe ouvrière à s'organiser contre le militarisme et à lutter pour l'abolition de toutes les armées, dans le monde entier. La guerre n'est pas contre la Russie, elle est contre la classe ouvrière. La classe ouvrière doit répondre : guerre à la guerre ! [10]"

Aujourd’hui, l’armée de l’État français est aussi engagée dans l’OTAN et c’est à ce titre que les forces françaises sont envoyés en Roumanie, en Pologne et en Estonie pour renforcer le dispositif visant à contrer une offensive russe. Pendant ce temps, les capitalistes se remplissent les poches : Dassault ou Thalès enregistrent les nouvelles commandes d’armement qui vont êtres données aux soldats d’Ukraine. En perspective : du fric pour les vendeurs de canons et des morts pour les populations.

Nous devons nous aussi nous positionner contre les agissements de l’OTAN et de la Fédération de Russie, qui utilisent l’Ukraine comme terrain de test. Nous condamnons les attaques des Etats et de leurs alliances, nous condamnons les appels à la guerre de gouvernements en manque de légitimité, nous condamnons les décisions d’user de centaines de millions d’euros de fonds publics pour engraisser les fabricants d’armes quand nos écoles et nos hôpitaux doivent faire grève pour exiger le minimum. Si les Etats appellent à la guerre, nous devons répondre par la désobéissance.

Non à la guerre en Ukraine ! Non aux manœuvres de l’OTAN et de la Fédération de Russie ! Vive la liberté des peuples !

Pas de guerre entre les peuples, pas de paix entre les classes !

Le G.T Europe pour le secrétariat international de la CNT-F

Notes

[1Pour plus d’explications géopolitiques lire ici https://www.monde-diplomatique.fr/2022/02/TEURTRIE/64373

[2Pour en savoir plus sur cette période à lire ici https://lahorde.samizdat.net/ukraine-rencontre-avec-deux-antifascistes

[3Signataires : KRAS, Russian section of the International Workers Association Internationalists of Ukraine, Russia, Moldova, Israel, Lithuania, Romania, Poland, Anarchist Federation of Moldova, Fraction of the Revolutionary Socialists (Ukraine) Declaration was supported by :
Workers Solidarity Alliance (North America), Internationalist from USA, Ireland, Netherlands, Anarcho-Syndicalist Initiative of Romania, Libertarians of Barcelona, Left Communists and Internacionalists from Ecuador, Peru, Dominican Republic, Mexico, Uruguay and Venezuela , Workers-Communist Iniciative (France), Leicester group of Anarchist Federation (Britain) ,French-speaking Anarchist Federation (FAF) ,International of Anarchist Federations (IFA) ,Union workers and precarious of Clermont-Ferrand CNT-AIT (France) ,"World Revolution" (Croatia) ,A Libertarian Socialist (Egypt) ,libcom.org group ,World in Common network ,Industrial Workers of the World (IWW) ,Anarchist fraction of Sennacieca Asocio Tutmonda (World Anational Association) ,Bristol group of Anarchist Federation (Britain) ,Network of Anarcho-Syndicalists (MASA, Croatia) ,Hamid Moradei libcom.org/tags/hamid-moradei) "Peak of social action" (Athens, Greece) Anarchist Federation - South East England Regional Network , South Florida General Membership Branch of Industrial Workers of the World (USA) , Rosa Luxemburg Page (www.facebook.com/rosa.luksemburg) ,National Anti-Nuclear Network (Italy) An Anarchist from England ,Circolo Alternativa di Classe (Italy) , Edinburgh Anarchist Federation

[4Pour lire la déclaration complète en anglais https://aitrus.info/node/3608

[10Pour lire la déclaration complète en anglais sur le site de la C.I.T c’est ici : https://www.iclcit.org/cnt-statement-on-the-war-in-ukraine-and-militarism/

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