Publié le mercredi 11 mars 2009
Le 1er janvier 1994, des milliers d'indigènes zapatistes venus de la région de Los Altos autour de San Cristobal, des plaines bordant la ville d'Ocosingo ou de la forêt Lacandone s'emparaient de 7 des plus grandes villes du Chiapas. Leurs revendications : le droit à la terre, à un toit, à l'éducation, à la santé, à l'égalité entre les femmes et les hommes...
Devant l'incurie du gouvernement et son refus d'accéder à leurs demandes, les zapatistes ont développé leur propre système de gouvernement autonome, à tous les échelons, du village au Caracol. Mais aussi leur système d'éducation, de santé et de production autonome.
Parcourant la zone du caracol de Morelia depuis octobre pour former ceux qu'on appelle des promoteurs aux soins dentaires, j'ai pu voir toute la diversité de ce système de santé répondant au quasi abandon des communautés indiennes par le système de santé officiel et intégrant la médecine traditionnelle des populations mayas.
Lucio Cabanas. La seule région tzotzil de Morelia, majoritairement tzeltal. Comme chacune de la douzaine de régions de la zone, on y trouve une clinique « Esperanza de los pobres ». Salle d'examen, chambre d'hospitalisation des malades, laboratoire d'analyse, salle d'examen gynécologique, pharmacie, service de soins dentaires... Avec des moyens très limités, les promoteurs de santé se relaient pour apporter des soins aux patients. Pour les cas les plus graves, les patients sont transférés à l'hôpital associatif de San Carlos, près de la ville voisine d'Altamirano. Derrière la clinique, un potager cultivé par les promoteurs de santé permet d'améliorer la nourriture proposée aux malades.
Dans la pharmacie, les médicaments traditionnels cohabitent avec les modernes. Sirops, poudres, crèmes...l'accent est mis sur la récupération du savoir des anciens concernant les plantes médicinales. Des ateliers sont organisés pour connaître le meilleur moment pour la cueillette, pour la préparation. Les traitements modernes, du fait aussi de leur cherté, ne sont utilisés que lorsque les traditionnels manquent.
Une des priorités de la zone de Morelia est la prévention et l'éducation à la santé. 70% des infections par parasites, la quasi totalité des cas de diarrhées qui causaient des ravages dans la population infantile ont été éradiqués dans la zone : régulièrement l'équipe de promoteurs de santé fait le tour des communautés zapatistes (parfois à des heures de route défoncées par les pluies). Ils répètent inlassablement la nécessité de faire bouillir l'eau, les règles d'hygiène, l'entretien des toilettes, donnent des conseils de nutrition. Ils vaccinent tous les enfants de la zone, les différentes étapes de la vaccination étant consignées dans un carnet de santé.
Ces promoteurs de santé, accompagnés des « parteras », les sages-femmes traditionnelles, suivent les femmes tout au long de leur grossesse. Grâce à leur savoir-faire et au respect qu'on leur voue au sein des communautés, la plupart des femmes accouchent dans leur communauté, chez elles ou à la clinique autonome. Là encore, sauf pour les cas les plus délicats, la santé zapatiste a atteint une quasi autonomie dans sa capacité à faire face aux problèmes pouvant surgir.
Primero de enero. Autre région zapatiste située aux portes de la ville d'Ocosingo. A quelques minutes du site de Tonina, un des plus emblématiques de la culture maya. Pyramide impressionnante de verticalité, antre de Tzots choj, un des ultimes gouvernants de la cité, seigneur de l'infra monde dont la représentation témoigne de la cosmogonie de la pensée maya. Tonina symbole aujourd'hui de deux visions du monde : au cœur d'un conflit entre le gouvernement mexicain et ses archéologues cherchant à tout rentabiliser et à faire de la pyramide un lieu de spectacle son et lumière et les autorités zapatistes luttant pour préserver la mémoire de la richesse de la culture maya et les terres des paysans autour du site archéologique.
Nous installons la consultation dentaire dans une des salles de la clinique où se relaient toutes les semaines des promoteurs de santé.
Les patients se succèdent pendant qu'à la radio Ali Primera chante « Los techos de carton », chanson symbolique de la révolution salvadorienne et que lui succède Inti Illimani convaincu qu' « el pueblo unido jamas sera vencido ». Nous alternons cours théorique et pratique. Les promoteurs dentaires, patients, méticuleux, motivés, essayant d'apporter à ceux qui se présentent la meilleure attention possible, sont de plus en plus autonomes, capables de réaliser la quasi totalité des soins dentaires. Ils sont une remise en cause exemplaire de notre système éducatif dont une des fonctions est de créer des classes sociales, de perpétuer un système de dominants et de dominés. Ici pas de concours, de longues études censées justifier un statut social, des revenus élevés. Pas de spécialisation, de confiscation du savoir permettant de se regrouper entre ceux qui auraient la connaissance (mais de quelle connaissance parle-t-on ?) et donc le pouvoir, notables dominant la vie politique des villes et campagnes, seigneurs des temps modernes. Les dentistes zapatistes, puisque ce sont bien des chirurgiens dentistes, accomplissent les mêmes soins que ceux prodigués dans nos contrées. Ce sont des paysans qui doivent passer la plus grande partie de leur temps aux champs pour avoir de quoi subvenir à leur besoin et à ceux de leur famille, et qui, le soir ou un jour ou deux par semaine, prodiguent des soins dentaires à ceux de leur village et des villages environnants. Il en va de même pour les autres secteurs de la santé, pour l'éducation...Ceux qui sont en charge de ces fonctions ne sont pas rémunérés et n'acquièrent pas un statut particulier. Cela est vu comme un service rendu à la communauté dans le cadre d'un projet collectif.
Ce système n'est pas parfait et trouve aussi parfois ses limites. Comme il ne s'agit que d'un service rendu à la communauté sans aucune rétribution, la plupart des promoteurs sont très jeunes. Pas seulement parce que la santé et l'éducation autonome sont récentes, mais parce que lorsqu'ils vieillissent, se marient, ont des enfants, ils abandonnent souvent leur fonction pour subvenir aux besoins de la famille. D'où une perte d'expérience et de savoir. Parce que même si le mouvement zapatiste est largement autonome, il serait illusoire de croire qu'il peut s'extraire complètement du monde environnant. L'argent n'a pas été aboli même si son utilisation est bien plus limitée que chez nous. Les communautés en ont besoin d'un minimum pour acheter ce qu'ils ne produisent pas (sel, outils, vêtements parfois...). Et doivent vendre une partie de leur récolte. Sur le marché local mais bien souvent le prix est tellement bas comme pour les oranges qu'ils ne se donnent même pas la peine de le faire. Ou à l'exportation comme pour le café des coopératives que nous importons (et quand nous disons aux coopératives de faire attention de ne pas devenir trop dépendant du café et de cultiver les cultures d'autosubsistance, ils nous répondent qu'ils en sont conscients et que c'est ce qu'ils font mais que malgré tout le café reste le seul produit qu'ils peuvent vendre et donc leur permettre d'acheter ce qu'ils ne font pas pousser).
Ces systèmes de santé et d'éducation zapatiste sont récents (le soulèvement date de 1994, la coordination des systèmes de santé et d'éducation de la fin des années 90). Ils construisent leur expérience, expérimentent ce qui fonctionne ou pas, avec pour seul objectif de construire un système de santé réellement au service de la population et dont les orientations sont décidées par celles-ci. Ils le font dans un contexte de plus en plus difficile. Au-delà des attaques de paramilitaires qui ne font qu'empirer, le gouvernement développe son programme de contre-insurrection civile, inondant la zone de projets qui atteignent parfois leur objectif de diviser les communautés entre ceux qui rejettent toute aide du gouvernement et ceux qui se laissent séduire par l'argent distribué. L'ironie de l'histoire, comme disait un des coordonnateurs du projet de santé zapatiste est que « partout où nous installons une clinique, peu de temps après apparaît une clinique gouvernementale, dans des zones qui étaient délaissées par le gouvernement ». Si bien souvent les gens (y compris les non zapatistes) préfèrent aller dans les cliniques zapatistes où ils bénéficient d'une plus grande attention, c'est emblématique de la manière dont le gouvernement tente de diminuer l'importance et l'influence des projets zapatistes. C'est une course contre la montre qui est engagée, entre les zapatistes développant leurs systèmes autonomes et le gouvernement cherchant à asphyxier celui-ci.
FX (CNT santé social)
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