Publié le mardi 14 février 2017
Depuis le soulèvement populaire fin 2010 en Tunisie, les chômeurs se mobilisent sans relâche pour une justice sociale contre la précarité galopante et généralisée. Ils dénoncent également un fonctionnement inégalitaire dans les concours de la fonction publique, la discrimination envers les militants, ainsi que la corruption toujours présente dans les administrations.
En 2015, une mobilisation visait spécifiquement la suppression des listes noires créées par la police politique sous Ben Ali, fichant les militants de l'UGET pour leur engagement syndical et les interdisant d'accéder aux concours de la fonction publique. Aujourd'hui, ces militants devenus diplômés chômeurs subissent encore une discrimination et ces listes noires sont toujours utilisées. Des mobilisations dans différentes régions ont eu lieu, à Gabès, Sidi Bouzid, Sfax,... et des grèves de la faim longues et dures ont été organisées au printemps 2015. Puis le 17 décembre 2015, à cinq ans jour pour jour du soulèvement de 2010, démarrait une nouvelle grève de la faim dans les locaux de l'UGET, qui dura plus d'un mois, et qui se solda par un accord avec le ministère le 18 janvier 2016. Cet accord prévoyait la régularisation des dossiers d'environ 700 personnes visées par ces listes.
Tout au long de l'année 2016, les chômeurs se sont mobilisés dans différentes villes pour l'application de cet accord et bien sûr pour poursuivre leur mobilisation contre la précarité plus généralement. En face, le ministère a commencé à revoir le nombre de personnes comprises dans l'accord, en n'en retenant qu'environ 300, et demandant des justificatifs, des preuves au cas par cas de cette discrimination. L'accord dans son ensemble est ainsi remis en question.
Une nouvelle grève de la faim s'est lancée fin décembre 2016 au local de l'UGET à Tunis, par 12 diplômés chômeurs originaires de différentes régions pour dénoncer ce mépris. Cette grève avait aussi pour objectif de casser l'isolement des chomeurs, sensibiliser les habitants et faire des liens avec les mobilisations dans les régions intérieures. A Gafsa, des chômeurs concernés par ces dossiers se sont aussi mis en grève de la faim début février. Après 48 jours de grève de la faim, ponctuée de manifestations, de répressions, et d'hospitalisations, le ministère s'est engagé à trouver une solution dans les deux semaines. La grève a été interrompue deux semaines le vendredi 10 Février 2017.
La CNT se solidarise des grévistes et exige la suppression immédiate des listes noires, et soutient la revendication d'ouverture de postes dans la fonction publique !
En effet, la question centrale du chômage en Tunisie va bien sûr au delà du volet spécifique des listes noires. Depuis 2010, le taux de chômage n'a fait qu'augmenter, différentes lois ont participé à une casse de la fonction publique dont celle des finances, sous couvert de lutte antiterroriste encore plus de moyens sont alloués à l'armée, la police, la douane, mais pas d'embauche dans la fonction publique pendant plusieurs années !
De même, la fonction publique en Tunisie reste complètement sclérosée par un système de corruption énorme. Et cela devient un enjeu central aujourd'hui. Non seulement les militants des deux principaux partis de droite, Nidaa Tounes ou Ennahdha, se font embaucher facilement aux postes qu'ils veulent, cassant toute égalité sur l'accès à l'emploi, mais la corruption concerne aussi l'administration avec d'importants détournements de fonds qui continuent d'enrichir une minorité pendant que la majorité de la population vit une pauvreté féroce. Aujourd'hui les chômeurs, appartenant ou pas à des organisations, se mobilisent contre cette corruption, et ils se font réprimer !
Au mois de décembre 2016 à Sidi Bou Zid, Jamel Saghrouni, le coordinateur de l'Union des diplômés chômeurs (UDC) a été arrêté par la police après avoir dénoncé la corruption dans un statut facebook. Six ans après le suicide du chômeur Mohamed Bouazizi et six ans après le mouvement révolutionnaire qui était parti de cette ville contre un "système" qui rime avec violence envers le peuple et corruption du pouvoir, Jamel nous indique : "aujourd’hui ce ne sont donc pas les responsables de la corruption qui passent devant les tribunaux, au contraire." Le cas de notre camarade n'est pas une exception, de nombreux autres militants subissent des procès d'opinion à travers toute la Tunisie. Pour avoir manifesté, pour avoir parlé de la corruption, et même parfois pour le seul fait d'être militant, syndicaliste ou politique, les Tunisiens sont sous la menace d'arrestations et de procès. Des fonctionnaires qui dénoncent la corruption actuelle se font licencier ou suspendre de leur travail comme Mohamed Hideya Bannani à Kasserine. Dans les mouvements sociaux qui ont touché ces dernières années des régions comme Kerkennah, Sidi Bou Zid, Meknassy, Regueb, Le Kef, Kasserine, Sbeïtla, Gafsa, Gabès, des manifestants ont été systématiquement arrêtés et attaqués devant les tribunaux pour avoir simplement exprimé leur opinion. Et les piratages des sites et pages internet reviennent au galop. Une page facebook qui dénonçait des dossiers de corruption dans le gouvernorat de Kasserine a été piratée ce dimanche 12 février.
Aujourd'hui 14 février Jamel Saghrouni et Khalid Bekkari passent en procès.
Mais aussi de nombreuses personnes passent en procès les jours qui viennent :
le 14 févier procès aussi à Gafsa pour ceux de Oum Larayes (9 poursuivis) ;
le 15 février procès au Kef pour ceux de Tajerouin (2 poursuivis), et à Kélibia (11 poursuivis) ;
le 16 février procès à Djerba ;
le 17 février procès à Gafsa pour ceux de Oum Laarayes (34 poursuivis) et ceux de Redeyef (4 poursuivis), et procès à Sidi Bouzid.
La CNT exprime sa solidarité avec les mobilisations en cours contre la précarité et la corruption généralisée. Nous dénonçons fermement ces procès politiques, et nous exigeons l'annulation des procès et l'abandon immédiat des poursuites !
Alors que la situation socio-économique n'a absolument pas changé en Tunisie, du fait de la continuité des politiques néo-libérales des gouvernements successifs, la situation des droits et des libertés pour les Tunisiens se dégrade et ressemble de nouveau à celle du temps de Ben Ali. Les discours de l’État français, qui ne cessent de présenter la Tunisie comme une enclave de liberté d'expression, de tourisme et d'économie libérale prospère, sont aussi le signe d'une continuité de la propagande néocoloniale. La France soutient comme toujours la dictature tunisienne et détourne son regard de la pauvreté et de la répression policière. La CNT dénonce la répression de l’État tunisien et la complicité de la France. La visite de Manuel Valls, et son soutien au dictateur Beji Caïd Sebsi lors de la conférence internationale sur l’investissement, sont une honte de plus. Les gouvernements successifs français n'ont cessé de soutenir le pouvoir autoritaire tunisien, que ce soit la droite comme le PS, qui, déjà, dans les années 90, avait appuyé le régime de Ben Ali et son parti, le RCD, notamment en l'intégrant à l'internationale socialiste. Le président Sebsi était alors un membre du RCD. Manuel Valls et la France connaissent donc bien le vrai visage autoritaire de leurs amis du pouvoir tunisien.
La CNT se solidarise avec la mobilisation de la coordination des mouvements sociaux et l'ensemble de ses revendications que nous relayons :
La coordination :
Solidarité Internationale contre la répression et la corruption en Tunisie ! Justice sociale !
Un coup porté contre l'un-e d'entre nous est un coup porté contre nous tous-tes !
Le Groupe Afrique
du Secrétariat International de la CNT-F
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