Publié le dimanche 1er février 2009
A Gafsa (sud-ouest) devait se tenir le procès en appel des principaux leaders du mouvement qui a secoué de janvier à juin 2008 le bassin minier de cette région. Si le procès a finalement été repoussé au 3 février, une délégation syndicale s'y est rendue pour soutenir les accusés.
La délégation - composée de syndicalistes algériens (SNAPAP), marocains (CDT et ODT) et français (FSU, SUD et CNT), d'un avocat de la FIDH et d'une sénatrice PC-, (1) a assisté mardi 13 janvier à une parodie de justice à Gafsa, assortie d'un véritable black out médiatique, dans le cadre d'un procès très « politique ». A quelques mois de l'élection présidentielle, Ben Ali, au pouvoir depuis 1987, et en campagne, souhaite à tout prix éviter la contagion à d'autres régions de ce mouvement social survenu dans une zone pauvre délaissée.
L'audience a démarré sous étroite présence policière, en uniforme ou en civil, dehors comme dedans. Les 38 prévenus, dont plusieurs incarcérés depuis des mois, risquaient pour certains jusqu' à 10 ans de prison. Ils étaient notamment accusés de « participation à une entente criminelle en vue de commettre des attentats contre les personnes et les biens, rébellion armée commise par plus de dix personnes et troubles à l'ordre public ». Quand la justice tente de faire passer des syndicalistes pour des bandits de grands chemins… Le climat qui a régné à l'intérieur comme à l'extérieur du tribunal, montre à quel point la population tunisienne vit sous une chape de plomb.
Les avocats ont d'abord adressé plusieurs requêtes aux magistrats. Des requêtes déjà formulées en première instance et restées sans réponse. Les pièces à convictions (des cd de « propagande », des tracts, 3 bâtons...) n'ont jamais été présentées, les accusés n'ont pas pu s'exprimer, à l'image d'Adnan Hajji, syndicaliste enseignant, un des leaders du mouvement, qui n'a pas été entendu par le juge d'instruction, les témoins, de l'accusation comme de la défense n'ont pas été présentés non plus. Sans compter les nombreux vices de forme (PV antidatés ou truqués pour des accusés), et les difficultés pour les avocats à rencontrer la plupart des accusés avant le procès.
Pour toutes ces raisons – une seule aurait pu suffire – les avocats ont demandé la remise en liberté de tous les accusés et le report du procès. Ils souhaitaient aussi des expertises médicales pour certains prisonniers et le respect du droit de visite des familles, largement bafoué.
Si l'on ajoute les cas de tortures avérées lors des interrogatoires, ces requêtes étaient fondées et pourtant les juges n'ont pas donné suite à ces demandes une nouvelle fois. Au grand dam des accusés, retournées dignement en cellule, main dans la main et tournant le dos aux juges, des familles, dont certaines ont été interdites d'accès au tribunal alors que figurait à l'intérieur de celui-ci, une partie des tortionnaires.
L'UGTT, la centrale syndicale unique non présente sur les lieux- elle avait dépêché deux avocats et fourni des soins- est restée dans une posture étonnamment neutre. Pour l'heure, après une période de défiance à l'égard du mouvement –suspension d'Adnan Hajji avant de le réintégrer-, elle entend négocier avec le régime une sortie de crise en insistant notamment sur la redynamisation économique de cette région, où le taux de chômage dépasse les 30%.
Pas sûr que cela convienne aux syndicalistes de l'UGTT, qui n'ont pas tous apprécié l'attitude de leur direction. « Si le 3 février, le jugement reste tel quel, nous emploierons d'autres méthodes, parmi celles-ci la grève » prévient un membre du syndicat de l'enseignement de base. Affaire à suivre et mobilisation à poursuivre en faveur des acteurs de l'un des plus importants évènements de l'histoire sociale récente en Tunisie, après la grève générale de 1978 et les émeutes du pain en 1984.
David Duslam, pour le SI de la CNT
Témoignage d'un infirmier à Redeyef :
« Nous ne faisions que manifester pour le droit au travail et contre la corruption locale, mais le régime a répliqué par la force.
Comme d'autres, j'ai d'abord été arrêté en avril chez moi. J'ai été tabassé sous les yeux de mes enfants.
Après le 6 juin, je me suis réfugié dans la montagne avant de revenir travailler car je n'avais plus rien. Ils sont venus me cueillir à mon travail.
En cellule, j'ai entendu hurler plusieurs fois mon fils (toujours incarcéré) victime de torture. Les geôliers me narguaient.
Je n'oublierai jamais. A présent, je me fais beaucoup de souci pour mon fils.»
Le mouvement de Gafsa en bref
Janvier 2008 : Des jeunes protestent spontanément à Redeyef, après la publication des résultats du concours d'embauche à la Compagnie des phosphates de Gafsa, principal employeur de la région. Début des manifestations pacifiques, sit-in, occupation, grève de la faim.
Début avril : arrestation de plusieurs personnes dont des syndicalistes. Une grève générale régionale (est observée, les militants finalement relâchés.
Juin 2008 ; Devant la résistance qui ne faiblit pas, les forces de l'ordre tirent à balle réelle sur la foule le 6 juin, faisant une victime (une autre décèdera plus tard) et de nombreux blessés : arrestations massives et recherche des fuyards. Les femmes poursuivent néanmoins le mouvement et réclament les libérations.
Déclaration unitaire de soutien aux inculpés de Gafsa
Nous, organisations syndicales présentes à Tunis, le 14 janvier 2009, après avoir pris les informations nécessaires à une bonne compréhension de la situation de la lutte légitime des habitants du bassin minier de Gafsa, après avoir assisté au simulacre de procès des 38 accusés, demandons :
La liberté immédiate et sans conditions de tous les prisonniers, leur réintégration dans leurs emplois respectifs ;
Le respect de la liberté syndicale et d'expression ;
L'arrêt des poursuites contre ceux qui soutiennent à l'étranger le mouvement.
Nous remercions l'accueil des organisations et associations qui nous ont aidés à développer notre solidarité.
Nous attendons de l'État tunisien des réponses dignes et justes d'un État démocratique et nous appelons l'ensemble des organisations syndicales mondiales à se mobiliser afin que justice soit rendue le 3 février aux prisonniers.
Organisation démocratique du travail (ODT, Maroc),
Confédération nationale du travail (CNT, France)
Sud Éducation et Union syndicale solidaire (France)
Syndicat nationale autonome des personnels de l'administration publique (SNAPAP, Algérie)
PS : des syndicalistes tunisiens ont signé le texte en leur nom propre
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