Publié le lundi 23 avril 2018
Le groupe Europe du Secrétariat International a choisi de traduire ce texte intéressant du numéro d’hiver 2017 du journal Freedom, qui donne un éclairage sur l’actualité et l’état du syndicalisme au Royaume-Uni.
Tandis que les grandes centrales syndicales britanniques cherchent désespérément un nouvel élan, les plus précaires s'organisent sans elles pour défendre leurs droits.
Le Trades Union Congress (TUC), (organisation fédératrice des syndicats britanniques), est confronté à une baisse du nombre de ses adhérents que nombreux sont ceux dans l'organisation à reconnaître comme une crise. Parallèlement, des syndicats plus radicaux ne font pas que se développer mais gagnent activement encore et encore. Qu'est-ce qu'ils ont de plus que le TUC n'a pas ?
La crise de l'adhésion au TUC est générationnelle. Parmi ceux qui sont actuellement actifs, la génération ayant la plus forte densité de syndiqués se rapproche de la retraite.
Ceux qui les suivent, actuellement au milieu de leur vie professionnelle, sont à peine moins susceptibles d'être membres d'un syndicat, mais ils vieillissent. Cependant, lorsque nous regardons ceux qui commencent à peine à travailler, la baisse d’adhésion est flagrante.
En substance, lorsque des syndicalistes plus âgés prennent leur retraite, personne ne les suit. La prochaine génération de travailleurs n'est tout simplement pas syndiquée et la crise de l'adhésion risque de s'aggraver dans une quinzaine d'années.
Au sein du TUC, cela a provoqué des réactions allant du déni à la panique. Cependant, même lorsqu'ils reconnaissent le problème, cela ne signifie pas que la réponse soit nécessairement la bonne. Voir un blog du TUC suggérer que « au lieu de dire " soyons solidaires ensemble ", nous pourrions dire que " les syndicats sont votre meilleur moyen d'aller de l'avant au travail " », vous dit tout ce que vous devez savoir sur la mauvaise direction qu’ils prennent.
Mais alors que le TUC étudie « trois nouveaux modèles » pour « engager » les jeunes travailleurs, prêts à mener un « projet pilote » de ce qu'ils considèrent comme le meilleur en 2018, quelque chose de bien plus crucial et passionnant est en train de se produire. Les travailleurs s'organisent dans les secteurs les plus précaires de l'économie et réalisent des conquêtes énormes.
Les syndicats traditionnels ne diminuent pas parce que les jeunes pensent qu'ils ne sont pas branchés, ou parce que la prochaine génération est criblée d'individualistes à la recherche d'avancement professionnel, prêts à accepter n'importe quel affront, de zéro heure à des heures supplémentaires non rémunérées. Ce genre de ligne ne sert qu'à accepter le récit du capitalisme du XXIe siècle et à justifier un syndicalisme de fournisseur de services qui ne mène nulle part. La raison réelle du déclin est le repli sur le secteur public et d'autres bastions traditionnels de l'affiliation syndicale telle que l’industrie, rejetant la « gig economy » [tous les petits boulots, l’auto-entreprenariat…], le secteur des services, etc., comme « impossible à organiser » et qui valent à peine le coup.
Une exception honorable récente à cette règle est la « MacStrike » (grève chez MacDonald à Cambridge et à Crayford en septembre 2017) menée par le syndicat Bakers Food and Allied Workers (BFAWU). Mais ceci est une aberration dans la vision du TUC avec ses lobbies parlementaires périmés focalisés sur le gel des salaires dans le secteur public et ses grèves prévisibles d'une journée qui n’ont rien d’exceptionnel.
En revanche, les efforts des syndicats tels que les Industrial Workers of the World (IWW), les Independent Workers of Great Britain (IWGB) et les United Voices of the World (UVW) sont vraiment inspirants. Ces syndicats ont fièrement combattu l’idée de l'impossibilité de s'organiser et, au cours des deux dernières années, leur nombre a considérablement augmenté.
Les agents de nettoyage, et les agents de sécurité dans des endroits comme l'Université de Londres, les coursiers à vélo, les chauffeurs privés, le personnel de la restauration et autres se sont rapidement imposés comme la force militante de la classe ouvrière organisée en Grande-Bretagne, loin devant les rodomontades de l’« équipe maladroite » du TUC.
Ce qui est important, c'est que ce militantisme ne se limite pas à la grève. Le syndicat de la fonction publique PCS a pris plus de jours de grève que de nombreux autres syndicats de 2010 à 2014, et il a perdu successivement les luttes sur les retraites, les salaires et les conditions de travail. En comparaison, ces travailleurs précaires et faiblement rémunérés gagnent activement : un salaire décent, le personnel sous-traitant obtenant les mêmes conditions que le personnel interne comme les congés maladie et les vacances, la réintégration des représentants licenciés, et la liste continue.
Un facteur clé est la tactique, bien sûr. Les grèves qui sont appelées à infliger des dommages économiques plutôt que de simples protestations sont la pierre angulaire d'un arsenal plus large qui comprend des occupations, des blocages, des marches et des manifestations beaucoup plus bruyantes et vibrantes que celles mornes organisées par les vétérans du TUC dans les grandes villes. Mais ces tactiques sont efficaces parce qu'elles sont organisées à la base et que la démocratie de base est vibrante.
Il n'est pas nécessaire d'être anarchiste pour se rendre compte que l'approche des syndicats du TUC est complètement antithétique à cela. Les exemples extrêmes sont l'hostilité ouverte des permanents contre les syndicalistes de base qui prennent des initiatives et font des actions sans leur aval, et les syndicats qui purgent les activistes parce qu’ils ont une vision politique dérangeante.
Plus banale est la façon dont les questions en litige sont retirées aux membres de base pour disparaître dans des « négociations confidentielles » et les tactiques de campagne périmées sont imposées aux travailleurs d'en haut. La politique syndicale est aussi lassante et destructrice que la politique de bureau la plus toxique et tout représentant chevronné avec une once de bon sens a depuis longtemps été désillusionné et aigri par tout ça.
Au XXIe siècle, notre organisation doit évoluer. Nous avons plus de moyens que jamais de communiquer avec nos collègues, et ils peuvent être un atout considérable s'ils sont utilisés efficacement. Mais les principes de base de l'organisation qui fonctionne et produit des résultats restent les mêmes : parler en face-à-face, agiter sur des questions dont les travailleurs se soucient réellement, choisir des batailles gagnables et utiliser l'action directe pour les gagner afin que les travailleurs puissent réaliser leur propre pouvoir collectif, et augmenter à mesure que plus de travailleurs s'impliquent.
En théorie, c'est du syndicalisme ordinaire. Mais même si un syndicat a son modèle d'organisation théorique, en pratique il ne s'accorde pas bien avec le besoin de la bureaucratie de s'auto-soutenir et de vouloir garder le pouvoir à tout prix. La démocratie et l'autonomie des membres et des branches sont également des obstacles à ce besoin.
En tant que travailleurs, la perspective d'une nouvelle génération qui ne serait pas organisée devrait nous inquiéter. Les attaques auxquelles nous sommes actuellement confrontés sont le résultat d'une classe dirigeante cherchant à nous donner un coup de pied quand nous sommes en panne ; ils perçoivent le mouvement syndical comme assez faible pour leur permettre de faire reculer les conquis des décennies précédentes, et ils n'ont pas tort. Avec la crise de l'adhésion syndicale, il n'y a aucun doute qu'ils verront l'opportunité de continuer à nous mettre des coups de pied.
Mais en tant qu'anarchistes, nous avons une réponse. C'est la même réponse que cela a toujours été − l'organisation démocratique à partir de la base et en utilisant l'action directe − mais la taille du mouvement qui le met en pratique est en croissance.
Les syndicats comme IWW, IWGB et UVW le font sur le lieu de travail, et bien qu'ils soient dignes d'un article, il vaut la peine de mentionner que les groupes de locataires et de revendicateurs ainsi que des organisations comme Sisters Uncut font un excellent travail dans les communautés.
L'importance de tout cela est que ce n'est pas seulement un moyen plus efficace de faire et de défendre des acquis réels dans le présent. Combiné avec une perspective anti-étatique et anticapitaliste, c'est le mouvement que nous devons construire si nous voulons façonner notre propre avenir.
Texte publié dans le journal Freedom, hiver 2017, traduit de l’anglais par le GT Europe du SI.
https://freedompress.org.uk/
Industrial Workers of the World (IWW)
iww.org.uk
Fondé aux États-Unis en 1905, le syndicat répertorie actuellement 14 branches actives en Grande-Bretagne, ce qui en fait le syndicat le plus diversifié géographiquement. Particulièrement actif dans des endroits tels que Bristol et Sheffield, il a une solide organisation et d'excellents contacts internationaux.
Independant Workers of Great Britain (IWGB)
iwgb.org.uk
Organisé à l'origine comme une émanation de l'IWW, IWGB a travaillé avec des travailleurs précaires et migrants à travers Londres, en particulier dans les universités, et a récemment fait un grand bond en affrontant le service controversé de l'application de taxi Über sur leur traitement du personnel.
Solidarity Federation (SolFed)
solfed.org.uk
N'a pas de section officielle sur les lieux de travail, car ce n'est pas un syndicat officiellement reconnu, mais maintient une forte présence à Brighton et a des sections locales actives dans une demi-douzaine de villes du pays.
United Voices of the World (UVW)
uvwunion.org.uk
Forte présence auprès des travailleurs migrants à Londres, lutte contre la précarisation et pour le salaire minimum vital. Récemment soutenu la section Ferrari Two dans leur lutte contre H.R. Owen.
Article publié dans Le Combat Syndicaliste n°433 (Mars 2018)
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