Secrétariat international de la CNT

Rouge, vert et noir : pas de lutte des classes sans luttes pour les terres

Publié le dimanche 23 août 2020

Plusieurs événements au cours de l’été ont marqué l’actualité des Amériques qui manifestent la polarisation des luttes sociales autour d’axes de plus en plus clairement reliés les uns aux autres : luttes contre le racisme d’état, luttes contre le colonialisme, luttes pour la récupération des terres, luttes contre les lobbies agro-industriels. Luttes contre un « ordre du monde » dominé par une oligarchie d’hommes blancs qui se sont accaparé les terres, les moyens de production, et ont ainsi réussi à asseoir leur domination politique par le jeu des élections représentatives.

Se réapproprier la mémoire

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Le 19 juin, les dockers d’Oakland en Californie, bientôt suivis dans toutes les villes de la côte Pacifique jusqu’au Canada, se mettent en grève pour dénoncer le racisme qui a fait de Georges Floyd la victime exemplaire d’un système d’état raciste. A l’occasion du Juneteenth, qui commémore l’abolition de l’esclavage au Texas le 19 juin 1865, la grève massive qui paralyse le transport maritime rappelle que l’histoire n’est pas finie. Cette manifestation a été appelée par le syndicat ILWU, a rassemblé des milliers de personnes pour défiler au son de « Get up, stand up », de Bob Marley, et a aussi attiré l’attention sur la privatisation du port contre laquelle se bat le syndicat, et qui menace de détruire des centaines d’emplois, majoritairement occupés par des Noirs. Convergence des luttes et refus d’un ordre oligarchique qui détermine pour chacun-e sa place dans le monde, en haut ou en bas.

Un mois plus tard, c’est en Martinique que des événements mettent le feu à l’île.

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Depuis plusieurs semaines, des statues sont régulièrement déboulonnées, malgré les propos de Macron qui condamnent la « violence » de cette « négation de l’histoire », avec une superbe inversion des rôles. Statues des négriers, des maîtres de l’île, statues de tous ceux qui se sont partagé les terres, les hommes et le pouvoir pour la gloire de la France, sont systématiquement abattues dans un mouvement populaire de réappropriation de l’histoire nationale. En parallèle, des militants anti-chlordécone (1)manifestent pour exiger la reconnaissance des dégâts causés par le pesticide massivement utilisé dans la culture des bananes, et appellent au boycott des entreprises de l’île qui appartiennent au groupe Bernard Hayot, un béké à qui appartiennent aussi les immenses bananeraies où l’on a continué d’utiliser le chlordécone malgré sa dangerosité : pompes à essence, centres commerciaux, enseignes comme Carrefour ou M.Bricolage. Après l’arrestation de 7 militants lors de l’un des appels au boycott, la situation devient explosive. Une manifestation réunit des centaines de personnes le 16 juillet à Fort-de-France. Au cours de la manifestation, les gendarmes venus de France pour garantir « l’ordre », s’en prennent aux manifestants, notamment une femme âgée, accompagnée de son fils qui tente de s’interposer quand elle est jetée à terre où son bras se casse. Il est alors violemment saisi, roué de coups, à tel point qu’il passera plusieurs jours à l’hôpital. Face à de tels événements, des émeutes éclatent dans la nuit, et la Martinique se révolte pendant plusieurs jours… à l’issue desquels se sont de nouvelles interpellations qui ont lieu, essentiellement des militants anti-chlordécone. Le démantèlement des statues des anciens esclavagistes ne « réécrit » pas l’histoire, elle condamne le présent, le colonialisme toujours aussi violemment imposé dans les Antilles, la marchandisation des corps soumis aux ravages des pesticides pour enrichir Hayot et consort.

Des terres et des droits

En Amazonie brésilienne, les peuples quilombolas doublement menacés par le Covid et par les incendies qui ont repris de plus belle cette année (silence médiatique, après l’indignation de 2019, on s’habitue à la déforestation), sont aussi directement menacés par le gouverneur du Minas Gerais, qui s’approprie leurs terres, en violation de la convention 169 de l’OIT sur les droits des peuples autochtones, pour en faire des terres agraires. Selon Autres Brésils, « avec cette décision, 450 familles occupant l’usine désaffectée Ariadnopolis de Campo do Meio-MG, 1 200 hectares de cultures de maïs, de haricots, de manioc et de courges, 40 hectares de jardin agro-écologique et 520 hectares de café seront détruits. Des centaines de maisons, d’enclos et des kilomètres de clôture seront également détruits. Cet ordre a été appliqué vendredi 14 août, détruisant tout ce que les gens ont construit en deux décennies de travail.» Soutenues par le Mouvement des Travailleurs Ruraux sans terre, les familles ont résisté plus de 56 heures malgré la destruction de leurs champs, de l’école, des bâtiments. Cet accaparement de terres d’agriculture vivrière et d’habitation pour agrandir les surfaces des exploitations de monoculture, catastrophiques pour la biodiversité et les sols, est donc à la fois combattu par les habitants quilombolas et par les paysans sans terre. L’accaparement de terres a été facilité au Brésil par l’urgence législative due à la gravité de l’épidémie de covid. Quant à l’autorisation de 19 produits extrêmement toxiques dans l’agriculture, interdits dans de nombreux autres pays, a été rendue possible dès l’avènement au pouvoir de Bolsonaro, et contribue largement à la destruction de l’agriculture traditionnelle du Brésil au profit des propriétés de plus en plus vastes où les céréales sont cultivées à perte de vue pour le profit des propriétaires fonciers.

En Amazonie péruvienne la communauté kukama, très touchée par le Covid, s’est mobilisée pour obtenir un accès aux soins et dénoncer les fuites de pétrole à répétition qui affectent son territoire, à cause de la compagnie canadienne d’hydrocarbures PetroTal. 70 hommes, armés de lances traditionnelles, dans la nuit du 3 août, qui célèbre les peuples indigènes, ont tenté de pénétrer dans un campement de PetroTal à Bretaña, dans la région de Loreto. Trois d’entre eux ont alors été tués par les forces de l’ordre, après une répression violente de la manifestation.
Ces revendications faisaient suite à une très forte mortalité, car 70 % de la communauté a contracté le virus, dans l’une des régions les plus touchées du pays, lui-même très affecté.

Oradour-sur-Bío-bío

Dans la soirée du 2 août, des civils mapuche, dont des femmes, des enfants, des veillards, viennent une fois encore pacifiquement devant la Municipalité de Curacautin, au Chili, pour réclamer l’application de la résolution 169 de l’OIT sur les prisonniers politiques, emprisonnés dans les prisons d’Angol et Temuco dans des conditions périlleuses où ils sont en grève de la faim. C’est le lendemain de la visite du nouveau ministre de l’Intérieur, Victor Pérez, à Temuco, où il a recommandé aux maires d’expulser les indigènes mapuche sans hésiter. Le 2 août, prévoyant cette occupation, un groupe fasciste demande expressément aux carabiniers de les laisser les déloger de la Muncipalité sans intervenir. Ils encerclent le bâtiment, commencent à y mettre le feu. Quand les gens commencent à sortir, ils sont tabassés par des centaines de personnes armées de barres de fer et autres armes. Avec la complicité aveugles des gendarmes, qui vont laisser faire de longues heures, puis interpeler des Mapuche qui tentent de fuir pour terrorisme.

Le racisme d’état qui condamne les peuples autochtones à subir la politique dévastatrice et profondément inégalitaire de l’oligarchie blanche issue de l’immigration européenne est aussi revenu frapper la Bolivie, depuis le coup d’état de Jeanine Añez. La Central Obrera Boliviana, le 3 août, jour des Peuples Indigènes, organise une manifestation pour dénoncer le report des élections. En effet, sous prétexte de fraude électorale – dont il a finalement été prouvé qu’il n’y en avait pas eu- un gouvernement intérimaire d’extrême-droite s’impose en octobre 2019, et les élections prévues sont retardées sous prétexte de crise sanitaire. Ouvriers, paysans, indigènes venus à pied du Chapare jusqu’à El Alto, militants du MAS et de l’état pluriethnique de Bolivie, sont venus réclamer le retour à la démocratie. La réaction de Luis Fernando Camacho, candidat d’extrême-droite issu de la région de Santa Cruz où se concentrent les richesses et les descendants européens, a été de dénoncer une tentative de propager le virus à la capitale. L’accusation de mise en danger sanitaire pourrait valoir 8 ans de prison aux manifestants porteurs du virus. Les populations indigènes, sévèrement atteintes et laissées dans le plus grand dénuement, sont ainsi criminalisées alors qu’elles dénoncent l’accaparement du pouvoir par une élite blanche raciste. Or les inégalités d’accès à la santé ont été particulièrement dénoncées. Une loi très demandée par les orateurs lors du rassemblement qui a culminé à El Alto est celle qui oblige les cliniques privées à prendre en charge les patients atteints du Covid-19 à un prix réglementé, payé par l’Etat. Cette loi, approuvée par l’Assemblée législative, a été contestée par Áñez et ne peut donc pas être exécutée. La majorité de l’opposition au Parlement a également envisagé d’autoriser l’utilisation du dioxyde de chlore qualifié de « sel miracle » [de fait un agent javellisant toxique] dans la lutte contre le coronavirus. Cette substance désinfectante a été interdite par les autorités sanitaires, bien qu’elle soit utilisée par les secteurs populaires de la population, qui réclament sa légalisation par une partie de la fraction parlementaire du MAS.

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Les événements de cet été montrent donc à la fois de nombreuses tentatives de se réapproprier ses terres, ses moyens de production, son histoire et sa dignité, et se heurtent à une répression d’une violence hallucinante, qui criminalise leur action alors que les forces de l’ordre de ces états policiers, dont la France est le complice ou le meilleur représentant dans les Antilles, sont gouvernés pour le seul profit d’une élite blanche, volontiers raciste, prédatrice et prête à laisser mourir des pans entiers de sa population, noire ou indigène, des conséquences de sa politique productiviste. Il reste encore bien des statues à déboulonner, avant d’arriver à la fin de l’idôlatrie marchande.

Claire, GT Amérique

(1. http://frisechlordecone.com/)

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