Secrétariat international de la CNT

Retour sur le Hirak algérien

Publié le vendredi 22 novembre 2019

Entretien avec un militant syndicaliste du CLA

local/cache-vignettes/L300xH225/algerie_-_liberez_les_detenus_d_opinion_dz_oct_19_2_-a2b60.jpg?1571682501Oὺ en est la situation en ce moment (mobilisation, répression, revendications …) ?

La situation actuelle en Algérie reste dans l’expectative.

Polarisation extrême, impasse politique, incompressible insurrection citoyenne et tentative de passage en force à travers des élections présidentielle refusée par le peuple. Acte 33, le Hirak (mouvement populaire) continue à déverser dans la rue, chaque semaine ses processions humaines emplies de l’espoir de faire tomber la dictature militaire accompagnatrice de l’oligarchie capitaliste. En face, le pouvoir autoproclamé reste sourd à leurs clameurs. Les tours de vis sur les libertés sont exponentiels.

La mobilisation reste intacte, l’indignation citoyenne va crescendo. La période estivale caractérisée par une chaleur infernale, les vacances scolaires et universitaires, n’ont pas fait fléchir la détermination du mouvement populaire à en finir avec ce système vieux de 57 ans.

L’insurrection de la dignité du 22 février contre le 5° mandat, un mandat de trop du M.Abdelaziz Bouteflika, n’est que la goutte qui a fait déborder le vase. Vingt ans de règne de bouteflikisme, le peuple algérien découvre la société de consommation, les inégalités sociales, l’exploitation capitaliste, les prédations des oligarques, le tout encadré par un pouvoir autoritaire, qui s’avère n’être qu’une chimère de modèle de développement.

En terme sociologique, trois franges de la société se mettent en branle pour remettre en cause cet ordre établi. En premier lieu les jeunes branchés sur les réseaux sociaux, qui sont dépourvus de leur volupté de vivre, empêtrés dans une misère sociale généralisée (chômage, précarisation…). En second lieu, les femmes, qui ne sont plus visibles dans une société archaïque aux valeurs morales caduques et invalides, marchent chaque semaine au côté de leurs frères hommes en dépit d’une islamisation rampante. Enfin, les classes moyennes (professeurs, médecins …) écrasées par la cherté de la vie, mécontents, viennent remplir les rangs des manifs. La crise du capitalisme mondial (Baisse du taux de profit, surproduction de la marchandise…) fait sentir ses retentissements en Algérie, pays caractérisé par une économie pétrolière et rentière. Ces derniers mois d’insurrection en Algérie peuvent nous aider à imaginer ce à quoi ressemble une lutte contre toutes les formes de capitalisme, de nationalisme d’état à l’échelle mondiale.

Tous les mardis, les étudiants entretiennent la flamme du Hirak et quittent les bancs des amphis pour rejoindre les centres villes, scandant le départ du système et le changement radical. Les vendredis, tôt le matin les jeunes se réunissent dans les quartiers, rédigeant des pancartes, des banderoles, préparent des slogans anti-pouvoir, une espèce d’auto-organisation dans des comités de quartier, puis ils descendent sillonner les grandes artères des villes dans une joie indescriptible criant à haute voix « silmiya » « silmiya » pacifique.

C’est la grève générale du 10 mars 2019 ressemblant à une désobéissance civile généralisée qui a précipité la chute d’A. Bouteflika. N’oublions pas également les conseils de l’ordre des avocats qui s’organisent et font des marches et sit-in dans les grandes villes. Les réseaux sociaux sont pour beaucoup dans la mobilisation. A la fin de chaque manifestation des prises de paroles et des débats publiques s’organisent dans des places publiques. Des comités de bases commencent à voir le jour dans certaines villes en vue de garder l’élan et la vivacité du Hirak.

Le pouvoir dictatorial en place, protecteur et accompagnateur de la classe capitaliste, tente par tous les moyens d’empêcher sa chute, d’éviter une révolution politique (entendre par révolution politique : dissolution du Conseil Constitutionnel, dissolution du Sénat, dissolution du gouvernement) désignée par la « aaissaba » (« mafia ») le gang du pouvoir de l’ère de Bouteflika, ce qui entraînerait une transformation sociale, une lutte de classe certaine.

Ces dernières semaines, les répressions s’accentuent :
-  Arrestations et kidnappings de militants actifs et connus (le nombre des détenus dépasse 200 depuis le 22 février jusqu’à ce début d’octobre). Ceci vise à affaiblir le mouvement populaire.
-  Arrestation et interpellation des porteurs du drapeau identitaire amazigh.
-  Arrestation et interpellation arbitraire des militants politiques et même des chefs de partis politiques (Louisa Hannoun chef du Parti des Travailleurs et Karim Tabou chef du Parti de l’Union Social Démocrate)
-  Utilisation de l’appareil judiciaire par l’armée pour emprisonner d’une manière arbitraire des chefs de partis politiques et des militants politiques.
-  Verrouillage du champ politique et médiatique.
-  Blocage des entrées d’Alger la veille des vendredis par des barrages posés par la gendarmerie pour empêcher les manifestants de rejoindre les manifs.

Un réseau de lutte contre la répression, pour la libération des détenus d’opinion et pour les libertés démocratiques a été créé et se fixe comme mission de recenser tous les cas de répression et atteinte à l’exercice de tous les droits et libertés démocratiques et d’en informer par tous les moyens l’opinion publique ainsi que de lutter en synergie avec les comités existants, les activistes et blogueurs défendant les mêmes objectifs, pour la libération des prisonniers politiques d’opinion et la défense des droits humains.

Les revendications du Hirak sont claires :
Système dégage. Au départ le peuple dit non au 5° mandat présidentiel à A. Bouteflika, ensuite à deux reprises, boycott des élections présidentielles du 18 avril et du 4 juillet. Ce fut un grand acquis à la révolution citoyenne. Le peuple continue de rejeter les élections programmées le 12 décembre prochain sous le même régime supervisé par l’Etat Major Gaid Salah.
Une partie du Hirak revendique des élections présidentielles dans le cadre de la constitution et les institutions actuelles du régime Bouteflika, sans la façade de ce même régime. Une autre partie, appelée « Forces de L’Alternative Démocratique », appelle à une transition démocratique permettant l’élection d’une assemblée constituante souveraine représentative des aspirations démocratiques et sociales de la majorité du peuple algérien ainsi que la libération des détenus d’opinion et la levée de toutes les entraves à l’exercice effectif des libertés démocratiques et syndicales.
En d’autres termes, le mouvement populaire revendique le départ de ce système, la chute de ce pouvoir autoritaire qui n’a engendré que misère et désolation sur les plans économiques et sociaux.

Des détenus d’opinion sont en grève de la faim. Par cette action ils comptent dénoncer l’injustice et les atteintes à leur liberté. Ils disent qu’ils n’ont fait que participer au Hirak , comme tous les autres citoyens algériens .

Comment s’organise le mouvement ? Est-ce le même type d’organisation dans les différentes villes et régions ou est-ce qu’il y a des spécificités ?

Dés le départ, le mouvement populaire refuse toutes formes de structuration, refuse d’être parrainé, récupéré, par des partis politiques, par des personnalités politiques, par des syndicats. Le Hirak a compris que le danger vient de la récupération des partis politiques et les personnalités politiques. Sa force est dans son « bordel » initial. Le pouvoir aurait voulu qu’il y ait des représentants clairement désignés pour les enfermer dans des chambres obscures, pour obtenir des capitulations. Sa force aussi, c’est qu’il n’a jamais accepté de porte parole, des mandataires clairement désignés. Le Hirak a fait émerger des comités de base spontanés qui partent des quartiers et des universités pour rejoindre en processions les artères des villes.
La spécificité qui existe entre la capitale et la Kabylie et les autres régions, c’est que la capitale, démographiquement dépasse six millions d’habitants et que les manifestations y étaient interdites depuis vingt ans. Le Hirak libère Alger pour les manifestants qui viennent de toute l’Algérie. La Kabylie qui est le bastion des luttes démocratiques donne de l’élan au mouvement populaire et encourage les autres régions à continuer la lutte. Le Hirak existe dans les 48 wilayas du pays, mais avec un peu plus de densité dans les grandes agglomérations (Constantine, Oran, Annaba …).

Pour les camarades de Bejaia, qu’est-ce qui vous a amené à appeler à une grève le 24 septembre avec d’autres syndicats et associations impliquées dans le mouvement ?

A Bejaïa, la pratique et l’exercice des libertés syndicales et démocratiques ont fait tomber le mur de la peur bien avant le Hirak, ce qui permet rapidement une coordination des luttes entre les étudiants, les syndicats et les associations. Ils ont osé même lancer des grèves et des actions radicales en élevant la barre plus haut dans des revendications, comme :
-  Pour un processus constituant et rejet de la mascarade de l’élection du 12 décembre 2019.
-  Contre la nouvelle loi sur les hydrocarbures et celles des finances qui donnent des cadeaux aux forces impérialistes et les multinationales (Total et autres …).
-  Système dégage.
-  Libération inconditionnelle des détenus d’opinion et politiques.

Bien qu’il ne faille pas trop compter sur les syndicats autonomes devenus bureaucrates, dirigés par des gens qui ont bénéficié des privilèges, trop domestiqués par le pouvoir, ni sur l’UGTA appareil de l’Etat pour doper l’insurrection, Bejaïa reste l’exception dans les luttes pour contagionner positivement les autres régions de l’Algérie.

Comment imaginez-vous la suite ?

L’Algérie d’après le 22 février ne sera jamais comme avant. Le peuple veut une nouvelle république, sociale et démocratique. Le pouvoir autoritaire militaire résiste, ne veut pas céder sur les libertés démocratiques et syndicales pour empêcher une guerre frontale contre les intérêts de la caste capitaliste prédatrice et corrompue. Celle-ci a peur des travailleurs librement organisés.
Les mardis et les vendredis, jours de manifs, le rapport de force est en faveur du Hirak. Les autres jours le pouvoir en place pousse sa feuille de route en passant en force et montre un positionnement fort car il détient les moyen de persuasion et de désinformation (les masses médias, l’appareil judiciaire et même les mosquées). Une guerre de tranchées inégale. Le peuple pacifique a lui les réseaux sociaux (Facebook, Twitter…) et la rue pour entendre sa voix et arracher son émancipation.
Dans un mouvement historique réel, l’union d’un peuple, sa révolution n’échouera jamais. A moyen terme, les élections du 12 décembre 2019 ne passeront pas et la lutte continue.

Quelles sont vos attentes par rapport à la solidarité internationale ?

Elle ne peut être que souhaitable.
L’insurrection du peuple algérien contre le régime autoritaire despotique est une cause juste. L’Algérie est sous une administration militaire coloniale par des Algériens eux-mêmes. L’auto détermination du peuple d’Algérie est une cause juste. Je ne vois pas pourquoi c’est un tabou de s’exprimer en faveur d’un peuple en quête de son émancipation, qui subit une répression quotidienne. Pourquoi est-ce une ingérence interne ? Le silence des occidentaux capitalistes, amis des pouvoirs dictatoriaux, est complice et hypocrite.
La chose positive dans le capitalisme c’est qu’il a créé l’homme universel, le salariat exploité universel. On n’est plus dans « l’être localiste » aliéné. L’émancipation de l’être est universelle ou pas. Facebook , twitter , youtube… ont montré rapidement qu’on est exploité, dans la galère, de la même façon sur les deux rives.
Syndicats, partis politiques, société civile, vous pouvez briser le mur du silence en organisant des sit-in, des marches. Publiez des textes de soutien pour montrer au monde entier que le peuple algérien est opprimé et mérite son émancipation.
Vive la solidarité internationale des peuples.

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