Publié le lundi 29 juillet 2024
Le peuple Kanak est à un moment historique de la lutte anticoloniale pour son autodétermination. La situation en Kanaky – Nouvelle Calédonie est grave : répression très importante, militarisation, catastrophe sanitaire et sociale. L’État français réutilise des pratiques coloniales sanglantes et racistes connues par le passé. Mais la Kanaky - Nouvelle Calédonie est isolée et a besoin de toute solidarité.
Tentative de sortie forcée de l’Accord de Nouméa
Les mobilisations des indépendantistes Kanak (partis, syndicats) coordonnées au sein de la CCAT – cellule de coordination des actions de terrain - ont été de plus en plus importantes depuis novembre 2023 jusqu’au printemps, et ce pour s’opposer à la volonté unilatérale de l’État français de sortir de l’accord de Nouméa signé en 1998. Cet accord était un accord de décolonisation, avec 3 référendums. Pour rappel la Kanaky – Nouvelle Calédonie n’est pas un territoire français, mais un territoire non autonome inscrit depuis 1986 sur la liste des pays à décoloniser. La France n’est que puissance administrante pour organiser la décolonisation.
Au deuxième référendum en 2020 l’indépendance ne s’est jouée qu’à seulement 9000 voix près. L’État français choisit le moment où le covid frappe de plein fouet l’île pour imposer la date du 12 décembre 2021 le 3ème référendum, malgré la demande de tous les courants indépendantistes et du sénat coutumier de son report, pour le respect du deuil, et en confinement ils n’ont pas pu faire campagne. 12 escadrons militaires envoyés sur place. Les indépendantistes ont refusé de participer. Le « non » l’a donc emporté sans la participation du peuple concerné. Cette consultation a été volée. Les indépendantistes essaient depuis de trouver un pays qui veut bien déposer leur plainte à l’assemblée générale des Nations Unies pour avis de la Cour Internationale de Justice. Et l’État français tente de passer en force pour une sortie de l’accord de Nouméa. Toute sortie doit normalement se faire avec les trois parties signataires, le FLNKS, l’État français, et les loyalistes. A l’automne le gouvernement propose un « document martyr », comme base d’accord de sortie dans le quel les clauses basiques de l’accord de Nouméa sont rompues, et dans ce texte le projet de loi sur le « dégel » (l’ouverture) du corps électoral provincial. Les indépendantistes refusent ce document.
Le dégel du corps électoral : retour sur un point sensible
Le corps électoral a toujours été un enjeu contre la colonie de peuplement tant que le processus de décolonisation est en cours. En 83 les Kanak acceptent l’ouverture du corps électoral pour celles et ceux qu’ils ont considéré comme les victimes de l’histoire : les descendants du bagne. En 1984 le « statut Le Moine » envisage une ouverture du corps électoral pour les résidents en Kanaky depuis 3ans. Les indépendantistes se mobilisent contre et appellent au boycott actif. Les années 80 ont été traversées d’évènements sanglants pour ces raisons. Les accords post-conflit, Matignon et Oudinot en 88, établissaient un processus de décolonisation : des institutions locales, le transfert de compétences, le rééquilibrage pour l’emploi local, et la garantie d’un référendum d’autodétermination à l’issue de dix ans. En 98 l’accord de Nouméa est signé pour une solution consensuelle, et repousse après 2014 le droit à l’autodétermination, et via 3 consultations. Le corps électoral provincial est encore élargi à ceux pouvant prouver d’une résidence continue de 1988 à 1998, mais son gel est imposé par les indépendantistes. Les Kanak deviennent déjà minoritaires. Le gel du corps électoral est constitutionnalisé en 2007. La France gagne encore du temps, le premier référendum prévu en 2014 se tient finalement en 2018, entre temps la colonie de peuplement continue. En 2023 l’État français essaie d’ouvrir le corps électoral aux résidents depuis 10 ans, c’est 25000 nouveaux électeurs d’un coup ! Le but : minoriser et invisibiliser le peuple Kanak et reprendre la tête du gouvernement local. Pour ce faire : première loi passée début 2024 reportant en décembre des élections provinciales prévues au printemps.. gagner du temps pour passer la seconde loi pour ouvrir le corps électoral. La loi est adoptée au sénat le 2 avril et à l’assemblée le 14 mai. Pour que cette loi soit validée il ne restait que la convocation du Congrès de Versailles.. En Kanaky, les mobilisation n’ont fait que s’intensifier jusqu’à mi mai, elles ont été historiques, 80 000 Kanak et autres communautés en manifestation le 13 avril sur tout le territoire. Le 13 mai, veille du vote de la loi, deux fédérations de l’USTKE, Hôtellerie et Transports aériens et terrestres, et Ports et Docks, se mettent en grève, suivie à plus de 90 %. L’aéroport international et le port de Nouméa sont quasi à l’arrêt, ne permettant que certains vols et arrivages commerciaux. Le jour même des forces de l’ordre tirent au flash sur des jeunes qui portaient le drapeau Kanak au quartier populaire de Montravel, provoquant l’étincelle qui a fait flamber Nouméa et sa banlieue en une nuit.
Répression, militarisation, et déportations
Les habitants Kanak et océaniens du grand Nouméa se sont soulevés et pour la majorité c’est une jeunesse qui subit en première ligne la discrimination à l’emploi, le racisme et la justice coloniale. Dès les premiers jours d’émeutes et jusqu’à aujourd’hui c’est une répression féroce qui s’abat sur la population Kanak et océanienne, de nombreux blessés par balle, plusieurs morts (8 kanak tués par balle, dont des mineurs). Les nombres exacts ne sont toujours pas disponibles. Les exactions se poursuivent tous les jours. L’hôpital Midipole est militarisé, il est difficile d’avoir des informations de certains services où les travailleurs Kanak ont été déplacés. On est à plus de 2000 interpellations officielles début juillet. Il y a un grand flou sur les lieux d’enfermement des interpelés, des familles continuent de chercher leurs proches. Des comparutions immédiates ont lieu tous les jours. 80 cellules de la prison du camp Est (l’ancien bagne) ont brûlé lors des premières mutineries, de nombreuses déportations de prisonniers ont eu lieu en France depuis mai dans le secret total. Le collectif Solidarité Kanaky (dont la CNT fait partie) avec des camarades Kanak ont réussi à localiser plus de 50 prisonniers, et leur viennent en aide. Mais ce n’est que le haut de l’iceberg… les recherches des prisonniers se poursuivent.
La militarisation est aujourd’hui sur tout le territoire et les habitants restent déterminés contre l’état colonial et répressif.
Des milices racistes et coloniales ont dès la première nuit été en renfort de la police, avec des armes de guerre, et continuent de circuler en pick-up pour attaquer des quartiers populaires. Ce sont eux les auteurs de plusieurs meurtres de jeunes Kanak. A leur tête des élus locaux de la droite locale ont été identifiés, dont Philippe Blaise, Gil Brial et ne sont pas inquiétés par la justice. Le procureur sur place et le Haussaire continuent de criminaliser le mouvement indépendantiste et avoir des discours d’incitation à la haine. Sonia Backès tête de la province Sud et de la droite ne fait pas mieux elle prônent maintenant l’autonomie des provinces = l’apartheid !
Alors que 11 membres de la CCAT ont été arrêtés fin juin, mis en examens et 7 d’entre eux ont été déportés dans des conditions terribles en France à plus de 17000 km de leur famille ; avec 8 chefs d’inculpation lourds (dont association de malfaiteurs, complicité de meurtre…), ils risquent la réclusion criminelle, pour s’être mobilisés pour défendre les droits de leur peuple. Deux poids, deux mesure, à l’image d’un système colonial bien en place. Les audiences d’appel pour leur libération sont passés, ils restent enfermés sauf Brenda et Frédérique assignées à résidence en France, sous contrôle judiciaire et avec bracelet électronique. Nous rappelons que toute déportation hors du territoire non autonome est illégale au niveau du droit international. Aujourd’hui selon les avocats les dossiers des camarades de la CCAT sont totalement vides ! Nous exigeons leur libération !
Aujourd’hui la Kanaky est plongée dans une crise économique et sociale catastrophique. Fin juillet on compte 22000 personnes qui ont perdu leur emploi. Les usines de nickel sont à l’arrêt, KNS au Nord annonce le licenciement 1200 employés. La caisse de retraite a annoncé qu’il n’y aura plus de budget pour verser les allocations à partir de septembre 2024. Le CCAS de Nouméa a annoncé stopper le versements d’aides sociales. Les distributions alimentaires sont difficiles, il n’y a plus d’accès au riz et à la farine, des quartiers populaires sont en pénuries de divers produits. La compagnie aérienne calédonienne Aircalin a annoncé suspendre les vols en provenance de Tokyo et Melbourne, et des licenciements. L’USTKE a lancé une banque alimentaire pour venir en aide aux travailleurs qui ont perdu leur emploi. Des caisses de soutien anti-répression se mettent en place également pour un soutien aux prisonniers, aux familles des victimes, et pour les frais judiciaires qui sont importants. Il faut savoir que c’est une justice coloniale qui est à l’œuvre en Kanaky, seulement une poignée d’avocats sont pro-indépendantistes.
La CNT reste mobilisée au sein du collectif Solidarité Kanaky (solidaritekanaky.fr) et appelle largement à se mobiliser ici en France pour la libération des prisonniers, pour le retrait des troupes françaises et pour l’autodétermination du peuple Kanak.
Dès septembre il y aura besoin que la mobilisation prenne de l’ampleur, le texte sur le dégel du corps électoral suspendu par Macron, mais pas retiré, vient d’être annoncé au programme de discussions à la rentrée !
Rien pour ce mois