Secrétariat international de la CNT

On ne pardonne pas, on n’oublie pas : Kurt Gustav Wilckens et 1500 camarades assassinés il y 95 ans.

Publié le mardi 26 juin 2018

Kurt Gustav Wilckens, est né le 3 novembre 1886 à Bad-Bramstedt près d’Hambourg en Allemagne et assassiné en prison le 15 juin 1923 en Argentine. Wilckens était pacifiste, tolstoïen, anarchiste, anti-alcoolique, végétarien et syndicaliste libertaire.

Il existe plusieurs variantes des événements relatés dans ce texte. Nous avons choisi les versions les plus fréquemment citées et les plus plausibles, n’ayant pas eu accès aux sources d’information primaires. Cet article n’a pas pour objectif de faire de la martyrologie mais de garder en mémoire notre histoire de lutte des classes.

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Après avoir suivi une formation de jardinier et effectué son service militaire dans l'armée prussienne en 1906, Kurt Gustav Wilckens commença sa vie de mineur en Silésie. En 1910, il émigra aux États-Unis à l’âge de 24 ans.

Ouvrier dans une conserverie de poissons, il adhéra aux idéaux libertaires notamment à la lecture de Tolstoï et connut ses premiers conflits sociaux qui lui valurent d'être licencié après qu'il ait convaincu ses compagnons de travail d'échanger les conserves de mauvaise qualité destinées aux quartiers ouvriers avec celles de meilleure qualité destinées aux quartiers riches.

Il reprit ensuite le chemin de la mine en Arizona, où il adhéra aux IWW (Industrial Workers of the World) et participa à plusieurs grèves en 1916, notamment comme orateur. Les mineurs mexicains et européens étaient alors les plus mal payés. La réaction du patronat fut la création des Loyalty leagues (Ligues de loyauté). Le 12 juillet 1917, 2000 membres des Loyalty leagues organisèrent une rafle des mineurs durant laquelle ils les passèrent à tabac, les pillèrent et violèrent les femmes, avant de les déporter. Kurt Wilckens fut interné avec plus de 1500 autres mineurs dans un camp à Columbus (Nouveau Mexique) dont il parvint à s'échapper. Repris peu après, il fut alors condamné pour haute trahison et interné au camp de Fort Douglas. Wilckens s'évada une nouvelle fois. Il partit pour Washington où il travailla aux récoltes, puis en 1919 comme mineur dans le Colorado. Peu après il sera arrêté, à nouveau emprisonné et finalement expulsé en 1920 vers l'Allemagne, d'où il repartit cette fois pour l'Argentine, où il arriva fin septembre.

À Buenos Aires, il rejoignit les journaux anarchistes allemands Alarm et Der Syndikalist l'organe de la FAUD anarcho-syndicaliste (aujourd'hui la FAU), ce qui lui valut d'être surveillé par la police. Le 12 mai 1921, il est victime d'une provocation de la part d'un flic qui tente de le faire expulser d'Argentine. Le coup foire, mais il est quand même emprisonné 4 mois.

À cette époque, les Tehuelches, peuple nomade qui se partageait, parfois âprement, la Patagonie avec les Mapuches, avaient été totalement dépossédés de leurs terres et poussés dans la misère. C’est sur ces terres que les colons exploitèrent la misère des immigrés venus d’Europe et du Chili. La plus grande société, Explotadora de Tierra del Fuego, concentra jusqu’à 1 376 160 hectares sur lesquels étaient exploités 1 250 000 moutons. La plupart des colons détenaient plusieurs dizaines de milliers d’hectares.

C’est dans ce contexte qu’éclatèrent de nombreuses grèves générales inspirées par les anarchistes, nombreux parmi les ouvriers agricoles, des abattoirs et des ports. Les revendications initiales étaient d’avoir un minimum de dignité et de quoi vivre, comme un salaire minimum, pas plus de 3 personnes dans une chambre de 16 m² ou encore des repas composés de 3 plats avec du café ou du maté. Au bout de quelques mois, les ouvriers commencèrent à s’organiser en unités montées à cheval. L’injustice avait généré en Patagonie un soulèvement armé.

Le gouvernement d’Ypólito Yrigoyen, poussé par les propriétaires britanniques, réprima sévèrement cette révolte. Et c’est le lieutenant colonel Hector Varela Benigno qui prit la tête de la troupe. Les ouvriers furent assassinés au fur et à mesure de leur capture. Jusqu’à 1 500 camarades assassinés, selon les sources, les salaires baissent d’un tiers plus bas qu’avant la première grève. Seules les prostituées de la maison close la Catalana de Río Gallegos protestèrent, lorsque les soldats revinrent : « Assassins, porcs ! Nous n’irons pas avec des meurtriers ! ». Elles furent arrêtées pour insultes à hommes en uniforme…

Suite à cette terrible répression de la révolte des ouvriers anarcho-syndicalistes de Patagonie, Wilckens, malgré sa tendance pacifiste et tolstoïenne, décida de venger les ouvriers assassinés. Le 27 janvier 1923, il lança une bombe sur le lieutenant colonel Hector Varela Benigno et l’acheva de quatre coups de revolver, comme Varela le recommandait lui-même à ses soldats. Blessé grièvement à la jambe, Kurt Wilckens fut arrêté et déclara : « Celui-là ne tuera plus personne. J'ai vengé mes frères ».

Kurt Wilckens, sans expérience en matière d'attentats ni dans le maniement des explosifs, affirma que son geste était une action entièrement individuelle, bien que l'on supposa qu'il reçut l'aide d'autres anarchistes. Le geste de Wilckens fut salué par l'ensemble du mouvement libertaire d'Argentine, et le retentissement de son acte atteignit jusqu'à l'Allemagne et les États-Unis, pays
dans lequel il avait vécu.

En prison, il se rétablit de sa blessure et parvint à se faire estimer de ses codétenus et des gardiens, recevant de nombreuses visites et de la lecture. Des journalistes vinrent l'interroger et il rédigea quelques articles pour le compte de revues anarchistes, dont certaines diffusées internationalement.

Les procureurs requirent contre Wilckens une peine d'emprisonnement de 17 ans. Le 15 juin 1923, Wilckens fut assassiné dans sa cellule, pendant son sommeil, d'une balle qui lui traversa le poumon gauche, par Pérez Millán Témperley membre de la Ligue patriotique argentine et gardien de prison. Il succomba le lendemain et son corps fut enterré dans un endroit inconnu. Son assassin déclara après son arrestation : « J'ai été le subalterne et un parent du commandant Varela. Je viens de venger sa mort ». Il fut ensuite interné à l’asile pour démence où il fut assassiné quelques temps plus tard.

Le journal Crítica vendit ce jour-là plus d'un demi-million d'exemplaires, et l'événement suscita l'indignation des anarchistes et des organisations ouvrières. La Fédération ouvrière régionale argentine (FORA) appela à un arrêt de travail général de protestation, et une manifestation convoquée sur la place Once se solda par 2 morts, 17 blessés et 163 détentions côté manifestants, et par un officier mort et trois policiers blessés du côté des forces de l'ordre.

Un mois avant sa mort, Wilckens avait écrit dans une lettre :
« Ce ne fut pas une vengeance ; ce que je voyais en Varela, ce n’était pas l’insignifiant officier. Non, en Patagonie, il était tout : gouvernement, juge, bourreau et fossoyeur. À travers lui, j’ai tenté de blesser l’idole mise à nu d’un système criminel. Mais la vengeance est indigne d’un anarchiste ! Les lendemains, nos lendemains, n’affirment ni querelles, ni crimes, ni mensonges ; ils affirment la vie, l’amour, les sciences ; œuvrons à hâter l’avènement de ce jour.».

Le GT Europe

Article publié dans Le Combat Syndicaliste n°436 (Juin 2018)

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