Secrétariat international de la CNT

Mexique : crime organisé, terrorisme d’État

Publié le vendredi 5 mars 2010

Mardi dernier, vingt-deux chefs d'État,
et les représentants de onze autres pays latino-américains et caraïbes
se pressaient autour de Felipe Calderón pour la photo du sommet de
Cancún, où auraient été mises en place, selon certains, les prémices
d'une "nouvelle intégration" régionale, excluant les USA et le Canada...

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Au même moment, sur la côte pacifique
de l'État du Michoacán, deux membres de la commune nahua de Santa María
Ostula, Javier Robles Martínez (par ailleurs conseiller municipal
indigène d'Aquila) et le professeur Gerardo Vera Urcino, étaient
enlevés en plein jour par des paramilitaires puissamment armés. Nous
avions rencontré ces personnes lors de l'assemblée extraordinaire du
Congrès national indigène, tenue à Ostula au cours du mois d'août 2009.

Quand on sait que huit comuneros de cette localité ont été assassinés
depuis cette date, on peut légitimement craindre pour la vie de Javier
Robles et Gerardo Vera. La raison de tous ces meurtres ? Les habitants
des trois villages de Pómaro, Coire et Ostula ont récupéré, en juin
2009, un millier d'hectares de terres communales en bord de mer, qui
leur avaient été volées par de "petits propriétaires" de la région,
voici une quarantaine d'années.

Bien entendu, il est pratiquement
impossible de mettre en cause les autorités du gouvernement fédéral
(contrôlées par le PAN, Parti d'action nationale) ni celles de l'État
du Michoacán (dirigé par le PRD, Parti de la révolution démocratique)
ou du municipio d'Aquila (dont le président, membre du PRI, Parti
révolutionnaire institutionnel, est actuellement en prison pour
narcotrafic). Aucun officiel n'est au courant, dans cette région
fortement militarisée, où les gangs du narco ont pignon sur rue et se
trouvent tellement imbriqués avec le pouvoir politique qu'il est
difficile de dire qui contrôle qui. Pourtant, l'enlèvement a eu lieu à
quelques pas du commissariat local.

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Plus au sud, au Chiapas, Margarita
Guadalupe Martínez, membre de l'association "Enlace, Comunicación y
Capacitación" de Comitán de Domínguez, a été enlevée en voiture par un
commando, à San Cristóbal de las Casas, rouée de coups au visage et
dans les côtes, menacée de mort, puis relâchée. Le petit cadeau venait
du président municipal de Comitán, lui ont dit les agresseurs.
Margarita et son compagnon, Adolfo Guzmán Ordaz, savent maintenant à
quoi s'en tenir.

Quant aux sympathisants des zapatistes
et des résistances ouvrières, paysannes ou indigènes vivant dans la
capitale, ils subissent actuellement un bombardement de messages, pas
du tout virtuels, sur "la conduite à suivre en cas de passage à un
contrôle des forces de police (AFI, PFP)... ou à un barrage des
sicaires du narcotrafic !"

"Ne résistez pas, n'essayez pas de
fuir, posez les deux mains sur le volant, identifiez-vous clairement,
ne manifestez aucune nervosité ni hésitation. Sinon, vous risquez
d'être pris pour quelqu'un d'autre, et abattus"...

Policiers, militaires, sicaires,
narcotrafiquants et hommes politiques participent à un étrange ballet
d'individus masqués, armés jusqu'aux dents et corrompus jusqu'à la
moelle, de cadavres décapités enveloppés dans des sacs poubelles, de
têtes et de corps calcinés, ou portant les traces de tortures plus
ignobles les unes que les autres... Au total, plus de huit mille morts
en un an.

Le Mexique sombre dans une inquiétante violence.
Mais ce tourbillon n'est pas
incontrôlé. Ses objectifs sont au contraire très clairs, pour qui suit
d'un peu près cette macabre actualité. Il s'agit de nettoyer les
campagnes, d'en finir avec les communautés paysannes et indigènes, avec
ces formes archaïques de propriété collective, avec l'organisation
traditionnelle qui permet l'autonomie alimentaire... Le "progrès" et le
"développement" doivent passer à tout prix dans le pays. Ce progrès,
c'est l'urbanisation massive des populations, leur entrée dans
l'économie de marché, la production et la consommation industrielles.

Et le développement, c'est l'agriculture intensive destinée à
l'exportation et à l'alimentation des villes qui débordent : tomates,
agrumes, avocats, soja, gigantesques batteries de cochons et de
poulets, maïs et palme africaine pour la fabrication des
agrocarburants. Le tout servi par une main-d'œuvre, en partie
infantile, quasi gratuite. Ce sont aussi, bien sûr, les barrages
inondant les vallées fertiles, les autoroutes passant à travers les
territoires sacrés des nations indiennes, les ports pétroliers, le
bétonnage massif des côtes, les projets "écotouristiques [1]"
et la prolifération des marinas de luxe.

C'est la levée du moratoire
sur les maïs OGM, qui permettra aux multinationales de l'agrobusiness
(Monsanto, Cargill, Syngenta) de contrôler la culture de cette plante,
inventée et développée depuis des millénaires par les paysans
amérindiens, et le formidable marché que représente sa consommation
dans un pays où elle demeure le principal du bol alimentaire. C'est
enfin l'invasion de la nourriture poubelle, et des fameux sodas qui
font exploser les chiffres du diabète et des maladies
cardio-vasculaires. Et si l'attrait de la "vie en ville", la séduction
des programmes d'assistance et de privatisation des terres ne suffit
pas, le "progrès" recourt à la force.

Dans les pays européens,
l'industrialisation massive et brutale, le carnage des guerres
mondiales, les dictatures fascistes ou le socialisme d'État ont opéré
depuis des décennies ce nettoyage en profondeur. Nous n'y avons gardé
que le lointain souvenir d'une vie certes plus rude et moins
confortable, mais où l'aliénation au travail, l'atomisation et la
compétition entre individus, la peur généralisée (de l'autre, du
lendemain, de la perte d'emploi, du refus d'une "promotion", du
harcèlement et du chantage au manque de "productivité"), la boulimie de
consommation d'objets totalement inutiles, n'avaient pas encore étouffé
le sens et l'espoir d'une vie plus désirable et plus solidaire, plus
libre et riche, en définitive. Au Mexique, et ailleurs en Amérique
latine, la partie n'est peut-être pas définitivement jouée. Une
fraction encore significative de la population y persiste à croire, à
dire et à faire que l'existence soit autre chose.

Les narco-tueurs, bon marché (car
"autofinancés", en quelque sorte) et opportunément incontrôlables, sont
de précieux auxiliaires pour les forces armées (avec lesquelles,
répétons-le, ils entretiennent d'inextricables complicités) pour lui
faire entendre raison.
Pourtant, cette résistance, si elle
n'est pas écrasée, inspirera peut-être un jour celles qui pourraient
resurgir dans nos régions occidentales...

En attendant, les habitants d'Ostula,
Coire et Pómaro ne baissent pas les bras.

Ils ont déployé leur garde
municipale (formée de jeunes désignés et révocables devant l'assemblée
de chaque village, non rémunérés) et bloquent la route côtière, sur
laquelle transitent de nombreux camions. Ils exigent une prise de
position claire du gouverneur Leonel Godoy, et le retour, sains et
saufs, de Javier Robles et Gerardo Vera.

Le 26 février 2010,

Jean-Pierre Petit-Gras

Notes

[1]
La multiplication des projets touristiques concourt grandement aux
politiques de division, et finalement d'expulsion des populations
rurales. Ils dissimulent également de gigantesques opérations de
blanchiment d'argent.

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