Publié le dimanche 4 novembre 2018
Dans un contexte de chômage de masse sans cesse aggravé par les politiques néo-libérales, appliquées inlassablement par tous les gouvernements depuis la chute de Ben Ali le 14 janvier 2011, la Tunisie a connu cette année de nombreux mouvements sociaux. En janvier 2018, pendant les grandes manifestations qui se dressèrent à travers tout le pays contre les hausses de prix provoquées par la nouvelle loi de finance, des milliers de Tunisiens furent arrêtés, plusieurs dizaines emprisonnées, et un manifestant fut tué par la police. Les mouvements ont continué localement toute l'année en prenant diverses formes, occupations, rassemblements, grèves de la faim. Parmi les protestataires, en première ligne, se trouvent les nombreux collectifs de chômeurs, et un syndicat, l'Union des diplômés chômeurs (UDC), officialisé depuis le mouvement révolutionnaire de l'hiver 2010-2011.
La fameuse « liberté d'expression » post-14 janvier s'applique-t-elle aux chômeurs qui continuent de réclamer du travail et du respect ? Les exemples ne manquent pas pour montrer que non.
En avril 2018, à Tozeur (sud-ouest de la Tunisie), une manifestation est organisée par l'UDC devant le gouvernorat de la ville. L'UDC dénonce les promesses d'embauche non-tenues et la corruption de l'administration. Les syndicalistes sont battus en pleine rue par la police, et par certains fonctionnaires, venus leur prêter main forte. Mais ils passent aussi en procès pour avoir manifesté. Certains d'entre eux sont condamnés à de la prison ferme et à plusieurs milliers de dinars d'amende. D'autres attendent la suite de procédures judiciaires iniques, comme Wafaa Mbarki, responsable locale de l'UDC, qui aura son procès en appel le 6 novembre 2018. Parmi les charges qui pèsent contre elle, le fait d'avoir troublé l'ordre public. Pourtant, sur une vidéo, le jour de la manifestation on la voit traînée au sol et tabassée par la police... Elle déclare : « Aujourd'hui, nous vivons le retour de la violence policière. Chaque jeune qui veut garder son honneur doit accepter en silence de fausses promesses.»
La loi sur l'état d'urgence adoptée et renouvelée sans cesse depuis 2015 permet d'assimiler manifestants et terroristes. Mais la répression qui s'est exercée tout au long de l'année 2018 n'est pourtant ni nouvelle ni exceptionnelle. Le 21 mai 2014, par exemple, le tribunal de première instance de Gafsa prononçait déjà des peines allant jusqu'à 10 ans de prisons pour 13 habitants d'Oum Laarayes (petite ville minière du sud du pays), suite à leur participation à des manifestations qui réclamaient la redistribution des revenus des mines de phosphate.
En octobre 2018, plusieurs membres du syndicat UGTT des fonctionnaires de l'éducation à Sidi Bouzid sont convoqués par la police pour avoir soutenu un sit-in de chômeurs. Ces syndicalistes chevronnés, qui n'avaient jamais été arrêtés depuis le mouvement de 2010-2011, s'étaient simplement solidarisés avec l'un des chômeurs, brutalement interpellé alors qu'il participait à ce simple sit-in. La solidarité vis-à-vis des chômeurs est naturellement le rôle de l'UDC, loin de rassembler la majorité d'entre eux. Depuis près d'un mois, à Menzel Bouzayene (gouvernorat de Sidi Bouzid) Rachid Amari, s'est mis en grève de la faim. Diplômé d'un master en civilisation arabe, il est au chômage depuis 18 ans, c'est le plus ancien chômeur de la région de Sidi Bouzid. De plus, son père handicapé a obtenu le « carnet blanc » attribué aux familles pauvres. Il est donc prioritaire pour les recrutements dans la fonction publique promis par l’État après le 14 janvier. Mais depuis 7 ans, il attend.
L'UDC est particulièrement visée par la vague de répression qui touche actuellement l'ensemble du pays. Selon le bureau national de l'UDC, depuis plusieurs semaines, chaque jour des militants sont arrêtés, convoqués par la police, ou passent en procès. Des membres des bureaux locaux de l'UDC ont été arrêtés ou convoqués à Kairouan, à Meknassy, ou à Regueb en octobre 2018. En 2017, le responsable local de l'UDC au Kef a fait 7 mois de prison. Pourtant, l'UDC tente de se poser en tant qu'interlocuteur convenable vis-à-vis des institutions. Wafaa Mbarki l'explique : « Nous demandons à l’État, en tant qu'organisation, des choses réalisables. Nous demandons plus de services publics, nous demandons que l’État joue réellement son rôle.»
C'est justement dans les régions pauvres et rurales de l'intérieur de la Tunisie, touchée de plein fouet par le chômage et les politiques néolibérales, que la situation socio-économique s'est le plus sévèrement dégradée ces dernières années. En avril 2018 par exemple, les habitants de ville de Jelma, dans le gouvernorat de Sidi Bouzid, se soulevaient et affrontaient la police pendant deux jours. Selon eux, l'usine locale de Danone s'approprie les ressources en eau là où les habitants et les paysans n'en trouvent plus pour travailler et pour vivre. C'est en général dans ces villes rurales de l'intérieur, comme Sidi Bouzid et Gafsa, que les mouvements ont été les plus nombreux cette année.
Mais c'est également dans les grands quartiers populaires, souvent construits après un exode rural massif en quelques décennies, que la répression policière frappe durement le prolétariat tunisien. Le 23 octobre 2018, à Sidi Hassine, banlieue du sud de Tunis, un jeune ouvrier, Aymen Othmani, était tué par la police d'une balle dans le dos. Le 25 octobre, une nuit d'émeutes se déroulait à Sidi Hassine et dans les quartiers environnants, suivie de multiples exactions policières, violations de domiciles, arrestations arbitraires...
Le 5 novembre 2018, un rassemblement aura lieu à 9h devant le tribunal de première instance de Tunis, Boulevard Bab Bnet, pour exiger la vérité sur ce crime policier, que le ministère de l'Intérieur tente de maquiller en accident.
La liste des actes autoritaires et brutaux de l’État tunisien à l'encontre des syndicalistes ou des simples manifestants est longue. La propagande des médias français et le soutien affiché du Président Macron à son homologue Béji Caïd Sebsi renouvelle, dans la continuité, la dictature et la Françafrique.
La CNT apporte son soutien à l'Union des diplômés chômeurs et à l'ensemble des Tunisiens qui continuent de lutter pour leurs droits et pour leur dignité.
Solidarité internationale, pas de justice pas de paix.
Rien pour ce mois