Campagne de la FAU sur le travail intérimaire
Publié le vendredi 25 novembre 2011
Abolition du travail intérimaire ! C'est le slogan d'un campagne nationale menée depuis quelques années par la Freie Arbeiterinnen- und Arbeiter Union (FAU). Dans un contexte où l'Allemagne à du mal à cacher une précarisation endémique du marché du travail, le fameux modèle social allemand a du plomb dans l'aile. C'est le gouvernement « rouge-vert » de Schröder, au cours des années 2002-2004, qui s'attela à la tâche des réformes avec la collaboration des centrales syndicales. Ces réformes ont été prises en concertation avec les nouvelles stratégies européennes de l'emploi, notamment avec les travaillistes (le fameux « papier Schröder-Blair). Dans son discours adressé au Bundestag le 14 mars 2003, Schröder souligna l'impérieuse nécessité des réformes sociales : Nous devons à travers les réformes engagées par le gouvernement fédéral adapter l'économie sociale de marché aux conditions entièrement nouvelles de la mondialisation de l'économie. Ces réformes ont transformé en profondeur le paysage législatif et le marché du travail allemands, ouvrant ainsi le service public de l'emploi aux agences intérimaires.
Le travail intérimaire, « la cession de salarié », fut autorisée en Allemagne par une loi datant de 1972. Cette loi limita la durée des missions et le nombre de contrats dans une même entreprise, mais ne réglementa pas le statut de l'intérimaire. Puis, en 1982, un amendement interdit l'intérim dans le BTP. Mais avec la montée du chômage, la rigidité du droit du travail fut mise en cause. De nouvelles mesures assouplirent le cadre réglementaire de l'intérim alors que l'écart salarial se creusait entre intérimaires et embauchés. A la fin des années 90, quelques conventions collectives furent conclues à l'échelle régionale par les syndicats avec les sociétés d'intérim, prévoyant la constitution de conseils d'entreprises au sein des boites intérims. Ces conventions permettaient aux syndicats de poser les jalons d'une nouvelle branche et aux agences de s'introduire dans les secteurs fortement syndiqués. C'est à cette époque que s’opéra un changement dans la perception du travail intérimaire : il devint un instrument de la politique publique pour l'emploi.
Plus tard, le travail intérimaire se libéralisa encore. En 2001, la loi dite job-AQTIV, releva à deux ans la durée maximale d'une mission. L'année suivante, ce sont les intérimaires étrangers qui furent touchés, par la suppression de l'obligation de traitement égal avec les nationaux. Ce furent surtout les lois Hartz I à IV qui sonnèrent le glas des restrictions relatives au travail intérimaire en faisant du travail intérimaire une arme pour combattre le chômage. Les agences locales d'emploi converties en job centers, purent avoir recours à des prestataires extérieurs : les « agences de services aux personnes » (Personal-Service-Agenturen). Ces PSA peuvent désormais trouver des missions d'intérim aux chômeurs de longue durée, rémunérées à hauteur de l'allocation chômage durant 6 semaines. Ces lois sont extrêmement coercitives pour les chômeurs. Ils ne peuvent pas refuser des offres mêmes à bas salaires, la mobilité géographique est imposée aux célibataires, les contrôles sont renforcés. Les réformes du marché du travail prennent la forme d'une déréglementation du travail temporaire. Le développement de la flexibilité externe fait la part belle aux agences d'intérim.
Au cours de ces dernières années, le nombre d'intérimaires s'est sans cesse accru. L'Agence fédérale pour l'emploi (Bundesagentur für Arbeit) recensait 900.000 travailleurs intérimaires pour l'année 2010, un nombre qui avait presque triplé depuis janvier 2003. Les deux tiers des contrats d'intérim sont conclus avec des personnes au chômage dans la période précédant immédiatement leur embauche. Ces contrats ont représenté environ 40% des emplois créés au cours de l'année 2010. L'accroissement exponentiel du nombre d'embauchés en intérim va de pair avec celui des agences d'intérim. Pour l'année 2010, l'Agence fédérale pour l'emploi comptabilisait environ 23 400 agences agréées, soit une augmentation de 60% par rapport à 2003. Les marchands d'esclaves, pour reprendre les termes de la FAU et utilisés jadis par les centrales syndicales, développent leur business en Allemagne.
L'expansion du travail intérimaire développe un secteur à bas salaires et contribue aussi à « flexibiliser » le marché du travail. Les entreprises peuvent disposer, soit d'intérimaires qualifiés le temps de répondre à un besoin de main d’œuvre accru, soit de travailleurs non-qualifiés à des coûts très bas. Ainsi, les salaires horaires minimum, définis par des conventions de branche [1], se situent autour de 7,80 euros à l'Ouest de l'Allemagne et de 6,65 euros à l'Est. La moitié des contrats d'intérim durent moins de trois mois. Ils débouchent rarement sur des embauches et créent des disparités de traitement. Le fossé se creuse entre intérimaires et permanents de l'entreprise : les écarts de rémunération sont passés de 30% en 1990, à désormais 40 %. Malgré le discours de l'Agence fédérale pour l'emploi selon lequel « le travail temporaire offre une perspective aux chômeurs, aux salariés menacés de chômage, aux personnes en quête d’un premier emploi ou souhaitant retourner en emploi », l'intérim n'est pas un tremplin vers l'emploi permanent mais bien une variable d'ajustement sur le marché du travail. Il crée une concurrence accrue et permet aux entreprises de passer outre les conventions collectives par branche, le tout avec la complicité des syndicats.
La loi Hartz I avait posé le principe de traitement égal (conditions de travail et salaires) entre travailleurs intérimaires et salariés fixes de l’entreprise d’accueil. Ce principe avait été salué par la DGB [2] en contrepartie de la dérégulation du travail intérimaire. Mais le principe d'égalité de traitement pouvait être dérogé en cas de conventions collectives signées entre syndicats d'employés et associations d'employeurs. Les syndicats ne se privèrent pas de le faire. Pour prendre de vitesse la petite confédération chrétienne CGB (Christlicher Gewerkschaftsbund) prête à signer des accords de dumping, les syndicats du DGB négocièrent des conventions collectives avec les deux plus grandes associations patronales de l’intérim, BZA (Bundesverband Zeitarbeit) et IGZ (Interessenverband deutscher Zeitarbeitsunternehmen). Cette course à la convention collective au rabais conduisit à la mise en vigueur de dispositions dérogatoires, à la satisfaction des associations patronales et des agences d'intérim.
Des syndicats se retrouvèrent en concurrence. Celle-ci fut dénoncée par les organisations de la DGB qui la jugèrent « illégale », voire « déloyale », en raison de la faible représentativité des syndicats chrétiens. De plus, la DGB accusa le coup, voyant la fin du monopole bilatéral traditionnel (une fédération patronale de branche signe avec un syndicat unitaire). La DGB saisit la justice allemande et appela le gouvernement à instaurer un salaire minimum légal. Le 14 décembre 2010, le tribunal fédéral du travail invalida les conventions collectives du secteur de l'intérim passées avec les syndicats chrétiens, mais laissa ouverte la question de la rétroactivité. Fallait-il redonner de l'argent aux intérimaires qui avaient travaillé plusieurs années sous des conventions tarifaires maintenant invalidées ?
Depuis 2009 s'est ouvert un débat politique autour de la question d'un salaire minimum légal pour l'ensemble des intérimaires (déjà appliqué dans le BTP et dans la branche postale). Loin d'être voté, ce projet est contesté à droite car cela signifiait la fin du modèle social contractuel allemand. Il est contesté à gauche car un salaire minimum légal, qui serait en dessous des minimas salariaux de certaines branches, légaliserait la concurrence entre travailleurs par la reconnaissance des disparités de traitements. Cette question est remise sur la table en 2011, avec « l'ouverture » du marché du travail allemand, laissant planer la menace d'une concurrence accrue des travailleurs des pays de l'Est. L'instauration de ce salaire minimum légal resterait un ajustement conjoncturel, c'est l'interdiction du travail intérimaire qui est scandée par la FAU.
L'organisation de cette campagne est une réponse au phénomène de déréglementation et de développement du travail intérimaire, ainsi qu'aux problèmes que cela soulève en termes de conditions salariales et de protection sociale. Depuis les lois Hartz, les procédures menées contre les agences d'intérim ont quadruplé pour non-paiement des arrêts maladies ou des congés payés. Si le slogan de la campagne prône l'interdiction du travail intérimaire, d'autres revendications sont mises en avant. La FAU réclame l'embauche des intérimaires, pour ceux qui le veulent, dans les entreprises où ils bossent ; les mêmes conditions de travail, de salaire et de protection sociale. Concrètement, il est n'est pas aisé de militer contre le travail intérimaire du fait même de la volatilité des travailleurs et de disparité des conditions. Les premières étapes sont la propagande et l'agitation. Des tables de presses et des marches sont organisées devant des agences de l'emploi et des boites d'intérim. À Düsseldorf, des militants se sont introduits dans une réunion du BZA, association patronale qui avait justifié l'inégalité de traitement des intérimaires. Des usines embauchant des intérimaires sont aussi des cibles, telle que Airbus à Hambourg.
Ces activités débouchent parfois par un soutien plus spécifique. Dans la firme SICK-AG de Freiberg, un militant est intervenu auprès de son conseil d’entreprise afin que les intérimaires soient payés comme les employés. Cette intervention payante a pu empêcher SICK-AG de pratiquer le dumping salarial. La FAU a également organisé des manifestations de solidarité avec des intérimaires de l’usine Volkswagen de Hanovre, en litige avec la direction. Mais la question du travail intérimaire est aussi liée à la question de la mondialisation. Au vu du contexte international, la FAU songe à organiser une campagne à l’échelle européenne. Des rencontres avec les anarcho-syndicalistes grecs de l’ESE, ainsi qu’avec des anti-autoritaires ont été déjà organisées.
[1] La négociation collective allemande ne s’appuie pas sur les conventions nationales interprofessionnelles mais sur des conventions de branche (Tarifvertrag) contractées entre syndicats et associations patronales. Les conventions de branche peuvent différer selon les régions. Des conventions d’entreprise peuvent se substituer aux conventions de branche.
[2] La Deutsche Gewerkschaftsbund est la centrale syndicale majoritaire en Allemagne forte de plus de six millions d’adhérents.
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