Publié le jeudi 13 novembre 2008
Le 30 octobre dernier, ce sont plus d'un million de manifestants (lycéens,
étudiants, professeurs et parents d'élèves) qui ont défilé dans les rues
de Rome, Milan, Naples, Cagliari, Catane, Palerme, Turin et même des Iles Lipari. Plus de 90% des professeurs étaient en grève.
Ce mouvement de masse s'oppose à une nouvelle loi dans le secteur de
l'éducation proposée par Maria Stella Gelmini ministre de ce secteur au
sein du gouvernement Berlusconi.
Cette loi n'est rien de moins que la sœur jumelle de la LRU qui avait
mobilisé le monde de l'université il y a un an en France : réduction des
fonds de financement public alloués aux universités, diminution du
turn-over (remplacement des professeurs partant à la retraite)...
Le texte prévoit également un contrat de dix mois renouvelable tous les
ans pour les nouveaux enseignants et le financement des universités par
des fonds privés avec le même risque de voir les frais d'inscription
augmenter et la fin de l'enseignement universitaire public que l'on
connait avec la LRU.
En attendant la mobilisation s'inscrit dans la durée. Commencée le 7
Octobre, les étudiants et les enseignants de l'université de Rome La
Sapienza ont été les premiers à se mobiliser. Depuis ils occupent toujours
leur campus.
Ce mouvement est marqué par son dynamisme, son fonctionnement démocratique
(assemblées générales de luttes) et son caractère interprofessionnel (les
parents d'élèves s'impliquent pleinement).
Ce mouvement est, hélas, aussi marqué par une autre réalité propre à la
réalité sociale transalpine : une volonté évidente d'infiltration de
l'extrême droite. D'où des affrontements violents entre étudiants
antifascistes et néo-fascistes du Blocco Studentesco (Bloc étudiant) comme
ce fut le cas à Rome sur la Piazza Navona.
SI de la CNT et CNT-FAU Poitiers
Guiseppe (secrétaire du syndicat éducation à Rome de notre organisation sœur en Italie, l'Unione Sindicale Italiana) et Valério (membre du Réseau Antifasciste Urbain section-Rome) reviennent sur ce mouvement.
Pouvez vous nous expliquer la genèse du mouvement ?
Valério (RAM) : Cette réforme Gelmini entend supprimer de nombreuses heures de cours et des postes de professeurs de primaire et de secondaire. Cela pose un problème sur la qualité de l'enseignement puisqu'au lieu de dédoubler les classes, on supprime des enseignants face aux élèves.
L'intérêt de ce mouvement réside dans l'implication des parents d'élèves
dans la lutte. Cela fait de nombreuses années que l'on avait pas vu un
mouvement aussi massif et interprofessionnel.
La loi 137, incluse dans la loi Gelmini, concerne les attaques contre
l'Université. Là aussi, il s'agit de supprimer de nombreux postes
d'enseignants. Il y a dans cette loi aussi la volonté de privatisatiser
l'enseignement supérieur avec la transformation des Universités publiques
en Fondations privées dotées de budgets propres. Cela signifie un double
problème : les frais d'inscriptions vont augmenter laissant sur le carreau
les étudiants les plus modestes, les travailleurs de ces Universités
devenues Fondations dépendront plus du Droit public mais privé en termes
de contrats et acquis sociaux.
Guiseppe (USI) : La loi Gelmini vise à supprimer 8 milliards d'euros à l'instruction publique et aboutira à des licenciements massifs de personnel (140.000 travailleurs en moins entre les enseignants et le personnel auxiliaire et administratif dans les trois années à venir). Ce sont, en fait, les travailleurs précaires qui sont les plus concernés par ces suppressions.
Derrière cette loi, il y a l'idée que la formation, la recherche ne sont pas des secteurs prioritaires pour l'investissement public, mais au contraire un coût lourd pour les caisses de l'état qui doit au contraire en ce moment de "crise" investir pour soutenir le secteur bancaire et financier. Ce à quoi tous les manifestants répondent : « Nous ne payerons pas votre crise ».
Quelle est l'implication des syndicats de base dans le mouvement ?
Guiseppe : Notre syndicat, l'USI AIT éducation, a depuis le début fait le lien entre ce mouvement contre la privatisation de l'enseignement et la lutte contre la précarité. Nous avons travaillé à l'unité d'action avec l'ensemble des syndicats anti-bureaucratiques italiens. Ces syndicats de base (COBAS,CUB,SDL) et l'USI ont signé ont signé une plateforme commune. La grève à l'appel de cette plateforme des syndicats de base a réuni le 17 octobre rien qu'a Rome 300 000 travailleurs et étudiants.
Une autre manifestation a été la manifestation confédérale du 30 octobre où il y avait 500 000 participants et un cortège "alternatif" de 100 000 étudiants d'universités et lycéens qui a encerclé le ministère de l'éducation.
L'USI intervient avec les autres syndicats de base dans les assemblées de lutte. Cette implication s'est faite particulièrement dans les universités où nous avons une grosse présence de travailleurs comme à Rome et à Udine. Dans cette ville, par exemple, la majeure partie du cortège du 17 octobre était composée de militants de l'USI.
Quelle est la spécificité de ce mouvement ?
Valério : Le mouvement comporte, certes, des limites, il n'en reste pas moins très intéressant au niveau de sa structure "horizontale". Le mouvement
s'organise à la base dans le cadre d'assemblées générales d'établissements
scolaires ou universitaires. Il regroupe tous les acteurs de l'école. Et
autre aspect intéressant, la main mise habituelle des partis de "gauche"
sur les mouvements est absente. La mobilisation s'organise à la base en
toute indépendance des partis politiques traditionnels.
Guiseppe : Le mouvement a choisi de donner une grande visibilité à ses actions avec ses cortèges non autorisés et souvent improvisés. Des actions directes sont menées avec notamment l'occupation des gares avec des assemblées ouvertes au public.
Valério : La limite de ce mouvement est peut être, en partie, son
immaturité politique. Beaucoup de jeunes se mobilisent pour la première
fois et font preuve de naïveté. Ainsi quand les néo-fascistes du Bloc
Etudiant (Blocco Studentesco) ont commencé à intervenir dans les
assemblées, la réponse a souvent été : "on est démocrates, on doit donc
les laisser s'exprimer". Cette attitude a changé à partir des évènements
de la Piazza Navona à Rome. Les étudiants ont pris conscience des
pratiques violentes du Bloc.
Peux tu revenir sur les évènements de la Piazza Navona ?
Valério : Le 29 octobre, le jour du vote de la loi Gelimini, était organisée une grande manifestation. A Rome le point de départ de la manif était cette place en face du Sénat.
Le matin à 10h, alors que la place était déjà noire de monde, une quarantaine de militants du Bloc étudiant sont arrivés avec un camion et ont tenté de forcer le passage afin de prendre la tête du cortège. Des affrontements violents s'en sont suivis. Les fascistes ont chargé les étudiants à coup de casques, triplex et de barre de fer. Des syndicalistes des COBAS et d'autres syndicats de base, comme l'USI, ainsi que des étudiants ont formé une chaîne afin de riposter et les repousser.
Puis, la nouvelle des affrontements s'est diffusée. Des militants
antifascistes et des centres sociaux sont arrivés nous prêter main forte.
Les fascistes ont été chassé.
Coïncidence troublante,Francesco COSSIGA, l'ancien Ministre de l'intérieur en Italie dans les années 70, une semaine auparavant, avait déclaré dans un journal conservateur que le meilleur moyen de casser le mouvement était de l'infiltrer ou par des policiers ou par des militants d'extrême droite.
Après ces évènements de la Piazza Navona, les media s'en sont donné à cœur
joie pour dénoncer la violence des antifascistes et criminaliser notre
mouvement. Heureusement cette entreprise de criminalisation n'a pas duré
longtemps. Des images filmées par des personnes présentes sur les lieux
ont montré que les fachos n'étaient en rien des victimes, bien au
contraire.
Ces images montraient en outre la connivence entre les militants du Bloc
et les policiers. Ces derniers les protégeant et les appelant par leurs...
prénoms. Cette réalité n'est hélas pas très originale en Italie. Cela fait
trente ans que cette complicité existe entre la police et l'extrême
droite.
Quel est le poids des fascistes dans l'Italie d'aujourd'hui ?
Valério : Pour vous donner une idée de ce poids, un constat : cela fait trois ans que toute agression fasciste à l'encontre d'immigrés, lesbiennes, gays ou militants antifascistes est impunie. Des attaques de centre sociaux sont régulièrement perpétrées à Rome ou à Milan. Dans une ville comme Naples, la connivence entre la camorra et l'extrême droite est évidente. Sans parler dans cette même ville des assassinats impunis d'immigrés par la police.
Le mot de la fin...
Valério : Le mouvement étudiant va continuer même si la loi est passée. La
mobilisation se structure avec la mise sur pied d'une coordination pour
faire le lien entre les AG des écoles primaires, Lycées et Universités. Ce
mouvement est quoiqu'il en soit un vrai bol d'air. Il nous redonne
confiance. Face à l'Italie réactionnaire de Berlusconi et une extrême
droite aussi sûre d'elle, une autre Italie existe et résiste.
Propos recueillis et traduits par Lulu et Jérémie, SI de la CNT.
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