Secrétariat international de la CNT

Le mouvement des chômeurs s’étend en Tunisie : L’île de Kerkennah demande des comptes à PETROFAC

Publié le jeudi 16 avril 2015

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Au large de l'île de Kerkennah, deux entreprises exploitent le pétrole et le gaz : PETROFAC et TPS. Comme les autres entreprises étrangères de ce secteur, elles détiennent 45% des parts de l’entreprise, l'ETAP (entreprise tunisienne d'activités pétrolières), c'est à dire l’État, détient le reste. Le 9 mars 2015, le site de PETROFAC est occupé par 267 diplômés chômeurs qui ne perçoivent plus depuis janvier les salaires que leur versait l'entreprise anglaise. En effet, en juin 2011, au lendemain de la révolution, un accord avait été signé entre l’État et les sociétés pétrolières pour participer au « développement » de la région. Ahmed, coordinateur de l'Union de diplômés chômeurs (UDC) de Kerkennah, revient sur cette histoire : « Il y a eu un accord après le 14 janvier pour embaucher des diplômés chômeurs dans le cadre de la participation des sociétés pétrolières au développement. C'est l'UDC qui a encadré cet accord pour les diplômés chômeurs. 267 diplômés chômeur ont donc pu bénéficier d'un dispositif qui s'appelle "travail environnemental", mais bien sûr le contenu n'a aucun rapport avec le titre. L'accord c'est que les diplômés chômeurs donnent un service aux administrations publiques à Kerkennah telles que la poste, l'hôpital, le lycée, le collège, les écoles primaires... Ils travaillent dans les maisons de jeunes, les institutions de pêche tout comme les autres employés des ministères. Mais c'est le mode de paiement qui est différent. Les fonctionnaires ont un contrat, une couverture sociale, mais pas les diplômés chômeurs concernés par le plan, ils ont juste un salaire de 450 dinars par mois en contrepartie des services qu'ils rendent. Ils n'ont pas de contrat, pas de couverture sociale. A partir juin 2011, ils ont travaillé pour l’État directement ou a travers des filiales d'entreprises étatiques. »

Les revendications du sit-in sont simples : un salaire avec un contrat de travail et une couverture sociale. Pour Ramzi, l'un de 267 chômeurs entrain d'occuper le site de PETROFAC, le problème vient des dirigeants anglais : « PETROFAC nous demande d'arrêter le sit-in, et la reprise de la production pendant deux jours, pour qu'elle vienne à la table des négociations. Mais PETROFAC s'en fiche des négociations. Elle a fait des manœuvres pour faire reprendre la production, avec des bandits qu'elle paye, avec la police, avec des informations mensongères sur facebook, dans les médias. Demain, ça sera peut-être le jour décisif, peut-être cette nuit à minuit. Il y a beaucoup de bandits à qui on a donné de l'argent pour nous attaquer. » En cause, le Tunisien Imed Derouiche, PDG de PETROFAC Tunisie, et réputé dans l'île pour ces manœuvres violentes.

Le 12 avril à minuit, des employés de PETROFAC tentent de faire reprendre par la force l'activité de l'entreprise, ils se font dégager par les occupants, soutenus par les habitants de l'île. Après les bandits payés pour briser la grève, l'intervention de la police, c'est un nouveau coup de force qui échoue contre le sit-in. Mais la situation est difficile pour le mouvement des chômeurs de Kerkennah. Amira, une habitante de Kerkennah s'en inquiète : « Des employés de PETROFAC sont allés agresser le secrétaire général de l'UGTT de Sfax dans son bureau pour qu'il fasse pression sur le sit-in. Et il y a d'autres problèmes : certains clients de PETROFAC ne sont plus fournis en gaz à Kerkennah, cela concerne des hôtels, des restaurants, des magasins car les contrats ont été rompus par l'entreprise. » Tous les arguments sont utilisés contre le sit-in par PETROFAC qui tente donc de retourner une partie de l'opinion contre l'occupation.

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La politique de PETROFAC à Kerkennah est d'autant plus inacceptable que ses activités nuisent à l'environnement et à la pêche, si précieuses pour les Kerkenniens. Ramzi témoigne de cette réalité : « Les pêcheurs sont touchés. Cette société a eu plusieurs fois des fuites dans la mer. Les poissons meurent, il y a un impact sur l'environnement. » Des bénéfices que Imed Derouiche et ses responsables de PETROFAC tirent de Kerkennah, il n'y a donc pas de véritable contrepartie pour les habitants et l'île. Pour Ahmed, l'issue du conflit doit passer par un changement réel : « Si les sociétés de pétrole ne participent pas réellement au développement, elles ne trouveront jamais aucune bienveillance à Kerkennah. S'ils font des efforts, cela peut évoluer. Avec le système de gestion de Imed Darwish, PETROFAC ne pourra pas tenir très longtemps. »

Alors que plusieurs mouvements de chômeurs traversent la Tunisie et qu'une grève de la faim a commencé dans plusieurs villes, le sit-in de Kerkennah ne fait que toujours plus démontrer l'impasse socio-économique dans laquelle ont embarqué la Tunisie, les divers gouvernements libéraux qui se sont succédés depuis le 14 janvier. Ahmed tire ce bilan provisoire : « Nous aimerions que tout le gain de ces sociétés revienne au peuple tunisien et non pas à ces sociétés géantes. Ils veulent gagner de l'argent, faire du profit, mais ils doivent participer au développement du milieu qu'ils exploitent. Le gouvernement actuel est libéral, il n'exigera pas que le pétrole appartienne à la Tunisie, mais qu'au moins il demande que ces entreprises participent vraiment au développement. »

Groupe Afrique du Secrétariat International de la CNT-F

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