Grève générale en Tunisie le 17/01/2019 à l'appel de nombreuses fédérations l'UGTT
Publié le mercredi 16 janvier 2019
Dans la tradition tunisienne, le mois de janvier est le mois fétiche des luttes sociales. En effet, la plupart des grandes vagues de protestations, de révoltes et d’insurrections se sont souvent déclenchées en janvier. La révolution du 17 décembre 2010 avait atteint son apogée le 14 janvier 2011.
8 ans après la révolution, malgré des années de récupérations et de manœuvres, la jeunesse, les femmes et les couches sociales marginalisées continuent de résister face à une coalition libérale qui rassemble modernistes et islamistes, soutenus par l’Union européenne et les États-Unis. Depuis le mois de novembre dernier, les protestations dans les secteurs syndiqués se multiplient, ainsi que dans les régions et les cités déshéritées. L’opposition parlementaire modérée et l'Union Générale Tunisienne du Travail (UGTT) finissent par lâcher le gouvernement et revendiquent sa dissolution.
A Menzel Bouzayenne, à Kasserine puis Thala, Maknassy, Sidi Bouzid, Bir Ali et dans plusieurs autres régions de la Tunisie profonde et dans certaines cités de Tunis, le mouvement de la jeunesse marginalisée déborde le calme mensonger célébré par les médias. Les sit-in, les manifestations et les confrontations avec les forces de répression regagnent le quotidien de la société. Certains slogans propres au mouvement révolutionnaire des années 2011-2013 reviennent sur le devant de la scène : « Le peuple veut la chute du régime », « Dégage salopard », « Le travail est un droit, bande de voleurs »… Le gouvernement est coincé entre d'une part, une jeunesse déterminée à imposer son droit au travail, d'autre part, le durcissement de la position du Fond Monétaire International qui exige encore plus de casse sociale, le blocage des recrutements et des salaires.
Les professeurs des lycées et des collèges sont, depuis des mois, en grève administrative générale, refusant de passer les examens et de rendre les notes, poussant la crise de l’enseignement public à des limites alarmantes. Bien que l’UGTT refuse de soutenir la fédération de l'enseignement secondaire, qui compte 90 000 adhérents, les professeurs résistent face au harcèlement quotidien et aux campagnes de diabolisation menée par les médias, l’administration et un certain nombre de parents. Plusieurs locaux de délégations régionales sont occupés par un grand nombre de syndicalistes veillant toutes les soirées à manifester leur résistance par des chants et des discours enthousiastes.
Ces dernières années, devant une UGTT équilibriste et pacifique, le gouvernement était revenu sur les accords sociaux et bloque les négociations sur les salaires. Mais en novembre 2017, le secteur public, qui emploie des salariés non-titulaires des entreprises publiques, annonçait une grève générale qui faisait reculer le gouvernement. Ce dernier consentait à une légère hausse des salaires qui ne compense même pas la hausse continuelle des prix des produits de première nécessité tels que les denrées alimentaires, les soins, les médicaments ou le carburant.
Les fédérations de la fonction publique (qui compte près 700 000 titulaires) ont annoncé une grève générale pour le 17 janvier 2019. Et la fédération du secteur public a suivi au dernier moment l'appel à la grève, preuve que les miettes accordées ne suffisent plus pour calmer les travailleurs. La centrale syndicale ne peut plus jouer le rôle de soupape, et finit par appeler à la grève à une date qui sonne comme un ultimatum. Les grévistes feront face à un gouvernement qui répète tout bonnement que le FMI refuse toute augmentation de salaires ! Et que si la Tunisie ne respectait pas cet engagement, il ne débloquerait pas la tranche d’un prêt prévue pour le budget de 2019 !
Le FMI bloque aussi les recrutements dans la fonction publique, alors que l’UGTT, les mouvements sociaux ou les écoles publiques demandent des milliers de postes. Des enseignants suppléants occupent les locaux des délégations de plusieurs régions et revendiquent leur titularisation. Le gouvernement qui recrute au compte-gouttes, pour ne pas renier son accord avec le FMI, ne peut plus contenir la colère par le seul abrutissement de sa propagande. La répression redevient donc explicite et les confrontations reprennent lors de manifestations nocturnes dans certaines régions (Thala, Kasserine, Menzel Bouzayenne, Maknassy) et dans certaines banlieues de Tunis telles que Cité Tadhamon et Sidi Hacine à Tunis.
La coalition entre les islamistes (Ennahdha) et les libéraux modernistes (Nidaa Tounes) se basait sur un soutien mutuel et sur un encouragement des États impérialistes (EU et UE), et des États réactionnaires arabes, notamment l’Arabie Saoudite, le Qatar et les Émirats arabes unis. Nidaa Tounes, harcelé et vidé par les manœuvres d'Ennahdha est en délitement de plus en plus profond. Le parti du président Béji Caïd Sebsi, porté majoritaire en 2014, a explosé en trois groupes. Sebsi perd de plus en plus d’autorité et son chef du gouvernement (Youcef Chahed), fort du soutien des islamistes, est sorti du parti et a formé un nouveau groupe parlementaire. Cette défection achève Nidaa Tounes et affaibli encore plus Sebsi, obligé d'annoncer la dissociation de son alliance avec Ennahdha.
La polémique autour de cette scission est rendue publique depuis le mois dernier. Un signe que la campagne électorale pour les élections législatives et présidentielle, prévues pour la fin de 2019, débute très tôt. Par ailleurs, les islamistes subissent de plus en plus la pression du Comité des avocats qui réclame la vérité à propos des assassinats de Chokri Belaïd et Mohamed Brahmi. Les deux leaders du Front Populaire, coalition des partis de gauche, avait été assassinés en 2013 dans des circonstances encore non-élucidés. Ce Comité a enfin pu mettre la main sur certaines preuves qui démontrent non seulement l’implication de d'Ennahdha dans ces meurtres, mais aussi dans d’autres crimes d’espionnage et d’infiltration au sein de l'armée et de la police.
Alors que les politiques se battent déjà en vue des futures campagnes électorales, les mouvements sociaux se multiplient et prennent des formes de plus en plus diverses. Des milliers de fonctionnaires en grève, des jeunes qui occupent des administrations ou les voies ferrées. Des manifestations pas toujours pacifiques se multiplient alors que les médias les qualifient systématiquement « d'incidents » ou de « fait divers ». Une pauvreté sans précédent pousse des couches et des classes sociales toujours plus larges à se rebeller. Au même moment, la crise du pouvoir est désormais à son paroxysme. Elle rend d'autant plus probable un nouveau cycle de luttes sociales généralisées.
Mohamed Amami
Écrivain, ancien instituteur membre de la fédération de l'enseignement primaire de l'UGTT.
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