Secrétariat international de la CNT

La CUT contre l’accord d’échange entre la Colombie et l’Union européenne

Publié le mardi 31 mars 2009

Rencontre avec Raúl Arroyave, Directeur du Département des Relations
Internationales de la Centrale Unitaire des Travailleurs de Colombie (CUT) sur les conséquences de l'Accord de Libre Échange conclu entre la Colombie et l'U.E.

Comment analysez-vous ce qui se passe au sujet de l'Accord de Libre Échange
que la Colombie négocie avec l'Union Européenne ?

Regardons d'abord le contexte européen : Le modèle libéral s'y est imposé.
Les monopoles européens sont en concurrence avec les monopoles et les
grandes compagnies nord américaines, japonaises, chinoises et hindoues. Il y
a une lutte sur le même marché, pour contrôler les aires stratégiques du
monde. Il n'y a pas un espace différent où les monopoles européens
pourraient développer leur action dans deux directions : Trouver des
consommateurs pour leurs marchandises et leurs technologies d'une part, et
trouver des sources de matières premières d'autre part.

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De fait, l'Union Européenne est aujourd'hui la première à investir des
capitaux : Elle représente 47% des investissements mondiaux à l'étranger,
c'est à dire plus du double des États-Unis, qui s'élève à 20%. Et donc, ils
viennent chercher ici la même chose que les nord-américains : Rééquilibrer
leurs taux de profits et employer une main d'œuvre pas chère, presque
réduite à l'esclavage, ce qui affectera les travailleurs de leurs propres
pays qui vont perdre leurs emplois, voir se réduire les droits du travail et
les bons salaires qu'ils ont encore. Et qu'ils sont déjà en train de
perdre... Car depuis de nombreuses années, les politiques sociales, les
droits du travail et l'investissement dans le social reculent en Europe.

Les
taux de chômage sont hauts, supérieur à 10% en Espagne par exemple, avec une
diminution des allocations chômage. On le ressent aussi au niveau des
programmes de Santé. Et puis, on est entré dans une vague de haine envers
les migrants étrangers, qui se traduit par la prison et la répression
brutale de ceux qui sont trouvés sans papiers. Il faut ajouter à cela que ce
sont des pays qui ont une vieille tradition colonialiste, de "rapace". Ils
sont devenus riches par l'oppression sur les peuples d'Afrique, d'Asie et
d'Amérique Latine.

Et bien, je dis que cet Accord de Libre Échange est essentiellement le même,
ou encore plus "rapace" que celui des États-Unis, car la base de la
négociation est la même. Avec les États-Unis, on a signé par exemple que la
période de protection des données de la propriété intellectuelle était de 20
ans. L'Union Européenne en demande 25. Il en va de même pour les brevets sur
les médicaments pour lesquels les États-Unis en sont restés à 5 ans, alors
que l'Europe en demande 11. La chose est si grave que nous finirons par
regretter l'Accord de Libre Échange avec les États-Unis !

A votre avis, pour nous colombiens, l'Accord de Libre Échange avec
l'Europe, c'est un nouveau débarquement colonialiste ?

Oui, pour tout ce que j'ai dit auparavant. Mais en fait, ce n'est pas
vraiment nouveau. Sans Accord de Libre Échange, l'Europe est déjà ici depuis
longtemps, avec des investissements quelquefois plus importants que ceux des
Etats-Unis, dans des secteurs clés de l'économie, comme l'énergie, avec
Union Fenosa. Une bonne partie des services publics, comme celui de l'eau,
est sous le contrôle de Aguas de Barcelona, monopole espagnol ; et ils sont
rentrés sur le marché financier avec les Banques Santander et BBVA. Ils sont
dans le pétrole, le ferronickel et le charbon ; et dans les
télécommunications avec Movistar.


Quel est le regard de la CUT sur l'Accord de Libre Échange avec l'Union
Européenne, comparé à l'Accord de Libre Échange avec les États-Unis ?

Nous sommes préoccupés parce que l'Accord de Libre Échange avec l'Union
Européenne est en train de passer en catimini, sans grand débat, ni
compréhension des maux qu'il peut nous causer. Pour l'Accord de Libre
Échange avec les États-Unis, le mouvement syndical colombien avait compris
clairement dès le début ce que cela signifiait pour notre pays, et il y a eu
un large mouvement social de refus, qui a contribué à bloquer la
ratification du traité au Congrès des États-Unis.

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Mais, pendant ce temps, personne n'a fait attention à l'Accord de Libre
Échange avec l'Europe, qui se trame depuis plusieurs années, depuis que
l'Organisation Mondiale du Commerce a échoué dans sa politique de
libéralisation globale suite à la résistance de pays qui ont une production
agricole importante, comme l'Argentine et le Brésil, qui avaient refusé
d'accepter les accords si l'Europe ne supprimait pas les subventions à son
puissant secteur de l'agriculture. Quand l'OMC s'est paralysée, les
européens ont vu qu'ils devaient venir dans la zone des pays andins pour
chercher des traités de libre échange. Mais comme dans cette zone,
individuellement, le marché de chaque pays est très petit, la directive
était de négocier en "bloc", avec la Communauté Andine des Nations, sans le
Vénézuela, ce qui représente une population de 97 millions d'habitants.

Puis
la négociation par "bloc" a également échoué, ils ont alors cherché à tout
prix à la mener individuellement avec la Colombie, le Pérou et l'Équateur,
pays riches en ressources naturelles comme le charbon, le fer, le nickel, le
pétrole, et avec une population laborieuse et productivement efficace. En
plus, ce sont des pays où l'avancée du néolibéralisme a anéanti les droits
des travailleurs, où prédominent la sous-traitance et les coopératives de
travail associé, avec des salaires de misère, ce qui est très favorable à
l'investissement étranger. C'est pour ça que l'Europe vient. Et ce qui
grave, c'est que des dirigeants du mouvement syndical regardent l'Accord de
Libre Échange comme quelque chose de bon pour le pays.

Pourquoi ?

L'Union Européenne a astucieusement revêtu son Accord de Libre Échange de
l'habit des accords humanitaires. Ils ne nous les présentent pas comme des
accords de commerce mais comme des accords d'association qui incluent du
dialogue social, de la coopération, du dialogue politique. En fait, ce ne
sont que des écrans pour cacher la nature prédatrice de l'accord et pour
tromper les syndicalistes. L'Union européenne a dépensé 280 millions de
dollars en événements et cours pour apaiser les esprits et les rendre
"adéquats", ils ont réussi à endormir et à semer la confusion. Et c'est
derrière ce financement qu'il y a manipulation. Certains organismes
multilatéraux, qui apparaissent comme neutres, se sont pris au jeu. C'est le
cas du Conseil Consultatif Andin du Travail, qui est supposé être un
organisme des syndicats pour réfléchir aux problèmes de l'intégration. Ce
conseil s'est réuni dans la ville de Salinas avec le Conseil Consultatif
Andin des Entreprises, et il a fini par faire une déclaration donnant un
avis favorable à l'Accord de Libre Échange avec l'Union Européenne. La CUT
n'a pas signé cette déclaration.

Pour en revenir au manque de débat autour du projet d'Accord de Libre
Échange avec l'Union Européenne, diriez-vous qu'il est en train d'être
négocié dans le dos du pays ?

Totalement dans le dos de la société civile, et beaucoup trop rapidement. Il
y a eu très peu de diffusion et les informations ont été biaisées. Il ne
faut pas oublier que deux des grands médias, Caracol et El Tiempo, sont
espagnols. Ce qui a filtré, c'est la gêne qu'avait provoquée les européens
avec leurs demandes excessives concernant la propriété intellectuelle et les
brevets sur les médicaments. Le ministre Luis Guillermo Plata, au lieu de
protester, a simplement dit qu'il était normal que les européens arrivent
avec des prétentions élevées parce qu'une négociation se passe comme ça : Il
faut demander beaucoup pour finalement lâcher du lest... Et la Colombie
finira par leur donner quelque chose en plus !

La CUT a-t-elle une stratégie face à l'Accord de Libre Échange avec l'Union
Européenne ?

Au moins, nous comprenons le problème, et c'est d'ores et déjà devenu un
thème central dans les discussions de la CUT. Pour le cinquième tour des
négociations qui aura lieu à Lima, et le sixième tour qui aura lieu à
Bruxelles, il faut redoubler nos efforts pour qu'il y ait autant d'agitation
sociale que celle qu'il y avait eu avec l'Accord de Libre Échange avec les
États-Unis, afin que le Gouvernement colombien ne signe pas impunément un
traité qui a des conséquences négatives pour le pays. Nous venons d'écrire à
Victor Báez, président de la Confédération Syndicale des Amériques, en lui
demandant de convoquer un sommet syndical andin sur ce thème, en espérant
arriver à une stratégie unifiée. Nous espérons que ce sommet formulera des
consignes de mobilisation et de dénonciation, comme nous l'avions fait pour
l'accord de Libre Échange avec les États-Unis.


Les syndicats des Etats-Unis se sont alliés à la lutte des syndicats
colombiens contre le TLC. Y a-t'il une relation semblable avec les syndicats
d'Europe ?

Non, ce n'est pas pareil. Parce que le mouvement syndical en Europe s'est
acoquiné avec les gouvernements. Ils ont fini par définir une stratégie
patriotarde qui peut réussir aussi à confondre les travailleurs colombiens.

Il faut aller leur dire exactement ce que nous avons dit à ceux de l'AFL-CIO
des Etats-Unis : Vous ne pouvez pas soutenir l'Accord de Libre Échange pour
une raison... Vous allez perdre vos emplois en Europe à cause des emplois
"poubelles" que les entreprises européennes trouveront en Colombie : Des
emplois sans une juste rémunération et sans droits syndicaux. L'idée, c'est
d'arriver rapidement à ce que les syndicats européens livrent une sérieuse
bataille contre ça.

Traduction : Coordination Populaire Colombienne à Paris

Plus d'informations sur la Colombie sur la page web de CPCP :

http://coordinadora.popular.googlepages.com/home

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