Secrétariat international de la CNT

Kanaky, le jour d’après

Publié le samedi 29 décembre 2018

Le 4 novembre, la Nouvelle-Calédonie votait pour ou contre son indépendance. Mais, après la victoire du « non », rien n’est réglé…

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Le dimanche 4 novembre était organisé en Kanaky un référendum portant sur la question suivante : « Souhaitez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? ». Cette consultation était prévu par les accords de Nouméa, signés en 1998 entre le FLNKS, la droite coloniale et l’État français. Des accords qui faisaient eux-mêmes suite à ceux de Matignon-Oudinot de 1988, quelques semaines après une prise d’otages de gendarmes dans une grotte de l’île d’Ouvéa. L’assaut donné tua 19 militants indépendantistes kanak, dont certains exécutés alors qu’ils étaient déjà arrêtés et désarmés. La période 1984-1988 avait occasionné de nombreux affrontements entre indépendantistes et loyalistes au cours de ce qui est pudiquement appelé « les événements ».

Lors de ces années, le FLNKS boycottait les élections et avait également refusé de participer à une consultation référendaire portant sur le droit à l’autodétermination du territoire, en 1987. A l’époque, la coalition indépendantiste pointait la nécessité d’arriver à un véritable processus de décolonisation. En effet, l’archipel, sous domination française depuis 1853, est l’une des seules colonies de peuplement françaises, où la population autochtone a été mise en minorité par l’arrivée de colons européens. Pendant des décennies, les Kanak ont été parqués dans des réserves tandis que la colonisation s’effectuait à travers l’arrivée de bagnards, dont des Communards et des Kabyles opposés à la colonisation française de leurs terres, mais aussi de colons à la recherche de promotion sociale ou de travailleurs asiatiques et océaniens notamment venus participer à l’extraction du nickel.

Les accords de Matignon-Oudinot, en plus de prévoir le transfert des compétences de l’État (en dehors des compétences « régaliennes ») et un référendum d’indépendance à la fin d’une période de dix années, devaient également permettre de procéder à un rééquilibrage de l’économie calédonienne, en permettant aux Kanak de prendre toute la place qui leur est dû. Par exemple, le programme « 400 cadres » prévoyait la formation de Kanak pour occuper des postes d’encadrement dans les entreprises et les administrations locales. En 1998, l’échec des accords est constaté par le FLNKS et la droite, un nouveau processus est engagé sur vingt ans (accords de Nouméa). A l’époque, l’USTKE, principale organisation syndicale indépendantiste, refuse de s’associer à ce texte, dénonçant la « couillonade » que cela représente. Pour le syndicat, qui a quitté le FLNKS dès 1989, ces accords favorisent la cogestion de la colonisation alors même que les principaux partis indépendantistes ont consacré beaucoup d’énergie à gérer les institutions dans lesquelles ils étaient majoritaires : la Province Nord, la Province des Îles et les municipalités de ces dernières.

Situation sociale et listes électorales

Après trente ans d’accords, de gestion partagée du pouvoir institutionnel et de programmes de développement économique et social, 2018 devait donc être l’aboutissement de ce long chemin vers l’autodétermination. Le FLNKS et la droite coloniale ont mené campagne respectivement pour le « oui » et le « non » tandis que l’USTKE et le Parti travailliste, fondé par le syndicat en 2007, appelaient à une « non-participation passive », principalement pour deux raisons.

Premièrement, il s’agissait de dénoncer la situation économique et sociale dans laquelle se trouve le peuple kanak. Le 1er mai 2018, l’USTKE défilait dans les rues de Nouméa sous le slogan « Trente ans d’Accords et des inégalités toujours plus fortes ». Cette phrase résumait à elle seule l’analyse faite par le syndicat : pour l’USTKE, le processus de décolonisation et devant donner accès au droit à l’autodétermination était un échec car les conditions pour que le peuple kanak, premier occupant de l’archipel, puisse décider librement de son futur n’étaient pas réunies. Ainsi, l’économie reste majoritairement aux mains des monopoles coloniaux et des multinationales du nickel. Les Kanak, quant à eux, notamment la jeunesse, restent marginalisés dans l’accès à l’emploi, en particulier les postes à responsabilité dans les entreprises. En revanche, ils sont largement sur-représentés dans la population carcérale.

Deuxièmement, l’USTKE et le Parti travailliste ont porté un combat technique et politique sur la question des listes électorales. Le pays compte trois listes d’électrices et électeurs différentes :

  • • une liste électorale générale, où tous les résidents de nationalité françaises sont inscrits, permet de voter aux élections municipales, législatives et présidentielles ;
  • • une liste électorale spéciale provinciale restreinte qui permet de voter aux élections provinciales ;
  • • une liste spéciale pour le référendum pour laquelle les critères limitent notamment l’inscription aux résidents de statut coutumier (kanak) ou aux résidents de longue date du territoire (20 ans avant 2014).

Cette dernière liste mise en place pour réduire l’impact de la colonisation de peuplement était au centre de toutes les attentions. En 1983, lors d’une rencontre organisée à Nainville-les-Roches entre le Front indépendantiste (ancêtre du FLNKS) et le RPCR (principal parti de la droite coloniale), une déclaration signée par le FI mais refusée par le RPCR reconnaît à la fois le droit inaliénable des Kanak à l’indépendance et la légitimité des autres communautés du territoire, appelées « victimes de l’Histoire », à participer à la construction de l’avenir du territoire.

Or, en 2018, cette question est cruciale. Alors que la Kanaky est l’un de seuls territoires de la République française où les statistiques ethniques sont possibles, les Kanak ne représentent que 40 % de la population calédonienne. Les Caldoches (issus de familles implantées depuis longtemps dans l’archipel) et les Zoreilles (métropolitains arrivés récemment) composent environ 35 % de la population. Les 25 % restants étant issus de communautés océaniennes et asiatiques. Or, face à un tel déséquilibre démographique, il est nécessaire de rappeler qu’un processus de décolonisation et notamment le choix d’accéder ou non à l’indépendance doit concerner prioritairement le peuple colonisé, en l’occurrence le peuple kanak. Alors que la liste référendaire devait permettre le respect de ce principe et l’intégration des « victimes de l’Histoire », celle-ci ne comportait pas près de 20 000 Kanak. Si le Comité des signataires, réunissant les acteurs ayant apposé leur signature sur l’accord de Nouméa, a proposé des solutions notamment l’inscription de natifs du territoire, Kanak et non-Kanak confondus, celles-ci ne convenaient pas à l’USTKE et au Rassemblement Indépendantiste et Nationaliste (RIN), regroupement de militants issus de différentes structures, dont la revendication principale était l’inscription automatique de tous les Kanak.

Des résultats défiant les sondages

Dans ce contexte, le résultat du référendum était connu d’avance. Le « non » était assuré de l’emporter. La question était surtout de savoir avec quelle avance, cela déterminant les rapports de forces à venir, notamment pour l’organisation d’un deuxième et d’un troisième référendum, prévus par les accords de Nouméa en cas de victoire du « non ». Ainsi, la campagne des partisans du maintien du statu-quo colonial portait principalement sur la nécessité d’une large victoire, associée à une participation importante permettant de légitimer le résultat, pour enterrer définitivement toute revendication indépendantiste. Les sondages publiés prévoyaient une victoire du « non » autour de 65 %.

Or, les résultats ont apporté plusieurs enseignements. Tout d’abord, la participation fut particulièrement élevée puisque 141 099 des 174 165 inscrits se sont rendus aux urnes, soit 81,01 %. Les jeunes se sont notamment déplacés en masse, montrant la réussite de la campagne du FLNKS pour mobiliser la jeunesse kanak et l’inciter à se prononcer lors de ce scrutin. Ensuite, si le « non » l’a emporté comme prévu, l’écart fut beaucoup plus faible qu’attendu avec un score de 56,67 %. Par ailleurs, l’analyse géographique et sociologique des résultats confirment des réalités déjà connues : le vote indépendantiste est proportionnel à la population kanak. Les provinces Nord et des Îles, majoritairement peuplées par les populations kanak, ont voté massivement pour l’indépendance. A l’inverse, le grand Nouméa, qui regroupe les deux tiers des habitants de l’archipel dont une grande partie est d’origine européenne, a voté un « non » tout aussi massif.

A chaud, tandis que les dirigeants du FLNKS se félicitaient du succès relatif du « oui » et de la participation élevée, les yeux tournés vers la prochaine échéance référendaire, les principaux responsables non-indépendantistes réagissaient de deux manières, conformes aux deux courants se développant depuis plusieurs années maintenant. Calédonie ensemble, premier parti du territoire en termes de voix, cherchait une voie médiane, alors que le territoire bénéficie déjà d’une autonomie très large, parlait de « peuple calédonien » pour mieux effacer la réalité du peuple kanak et mettait en avant la discussion et le consensus, illusoire en situation coloniale. L’autre courant, représentation des Républicains, souhaitait entériner définitivement le « non » à l’indépendance en n’organisant pas de nouveau référendum.

Et maintenant ?

Les différentes options seront prochainement discutées, des élections provinciales étant prévues au printemps 2019. Particularité calédonienne, ce sont les rapports de force dans les différentes provinces qui permettent la nomination des membres du Congrès. Les débats qui précéderont ces élections seront à suivre pour appréhender le futur institutionnel du territoire ainsi que les conditions d’organisation des prochains référendums.

Concernant l’USTKE, un communiqué publié le 13 novembre rappelait l’orientation décidée au congrès de 2015, lorsque l’organisation syndicale appelait à la convergence de toutes les forces indépendantistes autour d’une plate-forme commune créant les conditions d’une victoire au référendum. Cet appel renouvelé, associé aux volontés exprimées au sein du FLNKS pour retrouver une unité quelque peu malmenée ces dernières années, peut laisser espérer la constitution d’un bloc indépendantiste à même d’affronter le double adversaire que représentent la droite coloniale et l’État français, loin de jouer le rôle d’arbitre qu’il était censé occuper.

A n’en pas douter, la question sociale devra revenir sur le devant de la scène. Le vote indépendantiste était une expression identitaire mais aussi sociale. La revendication d’une indépendance kanak et socialiste, historiquement portée par le mouvement kanak et réaffirmée ces dernières années par l’USTKE, ne pourra faire l’économie de luttes dans les entreprises, dans les quartiers, partout où les travailleuses et les travailleurs kanak, associés à celles et ceux souhaitant rompre avec le capitalisme et le colonialisme, sont présents. Il s’agit d’une tâche d’envergure, dans un contexte hostile mais indispensable à une libération totale du peuple kanak et des autres exploités du territoire.

En France, il s’agira de renforcer et développer le mouvement de solidarité en associant toutes les forces anticolonialistes. En effet, la Kanaky est l’une des pierres angulaires de l’empire colonial français, en raison de ses ressources naturelles, de sa façade maritime (et de la zone économique qui en dépend) et de sa situation géostratégique, dans une zone de plus en plus sous influence chinoise. Soutenir le droit du peuple kanak à l’autodétermination et la légitime revendication d’indépendance, c’est combattre le capitalisme et l’impérialisme. C’est combattre l’État et construire, dès aujourd’hui, d’autres relations entre les travailleuses et travailleurs du monde : des relations basées sur l’égalité dans le respect de chacun.

GT Océanie

Article publié dans Le Combat Syndicaliste n°440 (Décembre 2018)

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