Secrétariat international de la CNT

Grève, occupations, manifestations, boycott des examens les étudiants algériens en médecine ne lâchent pas

Publié le mardi 10 avril 2018

Occupations de l’ensemble des 13 CHU (centres hospitaliers universitaires) d’Algérie, boycott des examens, manifestions interdites et violemment réprimées à Alger, mais manifestations possibles à Oran et à Constantine. Depuis le 15 décembre 2017, la grève des médecins résident-e-s (l’équivalent des « internes » en France) n’a pas faibli et s’apprête à durer.

Les médecins résident-e-s algériens-nes réalisent 7 années d'études en médecine générale puis 4 ou 5 années dans une spécialité. A ces longues d'études s'ajoutent un « service civil » obligatoire dans les régions du sud algérien, qui dure entre 2 et 4 ans, et une année de service militaire obligatoire. Puis, s'ils-elles réussissent le concours du DEMS (diplôme d'études médicales spécialisées), ils et elles peuvent enfin exercer leur métier de médecin dans une spécialité.

Les problèmes posés par le « service civil », c'est à dire la pratique précaire de la médecine par des étudiant-e-s dans des régions pauvres, est au cœur de la grève des médecins résident-e-s algériens-nes. Ils et elles réclament la suppression de ce « service civil », et la création d'un nouveau système de couverture sanitaire qui leur permettrait d'exercer leur métier dans « la dignité et le respect », pour reprendre leurs propres mots. En effet, l'ensemble des hôpitaux algériens manque gravement de moyens, de matériels et les infrastructures datent parfois de la période coloniale. Dans le sud du pays, où ils effectuent leur service civil, les résident-e-s sont confronté-e-s à une situation socio-économique encore plus difficile, provoquée par le mépris de la bureaucratie au pouvoir.

Constantine, 10/04/2018. Cette assistante en Epidémiologie a fait le déplacement d'Oran à Constantine pour boycotter le concours de Maîtrise.

Depuis des décennies, les jeunes médecins algériens-nes, une fois diplômé-e-s, ou alors qu'ils réalisent encore leurs études, s'exilent souvent en France pour trouver de meilleures conditions de vie. Près de 10 000 médecins non-européens-nes exerçant en France sont des médecins algériens-nes au statut précaire. S'ils et elles sont mieux payé-e-s, c'est encore trois fois moins que les médecins européens-nes et ils et elles ne peuvent pas s'établir à leur compte, ou travailler dans le privé. Les médecins et internes algériens-nes constituent donc dans les hôpitaux publics français une main d’œuvre taillable et corvéable à merci et, de plus, doivent passer par l'humiliation du renouvellement incertain de leurs titres de séjour. A travail égal, statut inégal pour les médecins étrangers-ères, un exemple typique du racisme d’État à la française. Les médecins algériens-nes ont donc le choix entre la pauvreté en Algérie et la précarité plus le racisme en France. Ou quand capitalisme rime avec néocolonialisme.

C'est dans ce contexte que, dès 2011, s'est créée en Algérie la Coordination nationale des médecins résidents. Au sein de chaque CHU, il y a un-e représentant-e pour 50 résident-e-s. L'ensemble de ces représentant-e-s se réunissent ensuite à Alger, au CHU Mustapha Bacha, où la coordination nationale organise le mouvement. Cette coordination fonctionne de fait sans syndicat car les médecins résident-e-s n'ont pas un véritable statut juridique qui leur permettrait d'en créer, et de défendre ainsi légalement leurs droits. Un syndicat de médecins spécialistes (celles et ceux qui ont réussi le concours du DEMS) existe, mais il s'oppose à la coordination et à la grève. Cependant, depuis le mois de mars 2018, un « Collectif autonome des médecins spécialistes » est né en marge du syndicat et soutien la grève des résident-e-s. Le Collectif autonome des médecins spécialistes a même déclaré une série de grèves tournantes dont les premières dates ont été les 26 et 27 mars. Le pouvoir algérien, qui jouait jusqu'ici beaucoup sur la division des corporations entre médecins résident-e-s et spécialistes, se retrouve plus que jamais face à un mouvement déterminé et unitaire. L'administration des hôpitaux a réagit en envoyant des « mises en demeure » aux médecins spécialistes solidaires avec leurs collègues résident-e-s en grève.

Alger 13/02/2018. Manifestation du CAMRA (Collectif autonome des médecins résidents algériens). Devant la grande poste d'Alger, et avant la répression policière.

De fait, le pouvoir reste sourd aux revendications des résident-e-s. Le gouvernement a rencontré plusieurs fois les représentant-e-s de la coordination sans qu'aucune proposition concrète n'ait été formulée. Par contre, dans la rue, depuis plusieurs mois, lors des manifestations de la coordination à Alger, la police algérienne a systématiquement réprimé. Le 13 février, une marche de plusieurs milliers de résident-e-s partait de l'hôpital Mustapha Bacha jusqu'à la Grande poste d'Alger, en plein cœur du centre-ville. Ce fût une grande réussite symbolique, dans une ville où le pouvoir surveille de très près tout mouvement qui s'aventure dans l'espace public. Par la suite, la police a donc bloqué systématiquement toutes les autres manifestations qui voulaient rejoindre le centre d'Alger en partant de Mustapha Bacha. Les manifestant-e-s ont été coincé-e-s et matraqué-e-s devant les grilles de l'hôpital. Les images de ces médecins en blouse et aux crânes ensanglantés ont fait le tour du monde. Étrange pouvoir, étrange police, qui verse le sang des médecins dans les hôpitaux.

Alger 13/02/2018

Contre l’État qui laisse pourrir le conflit, les résident-e-s ont d'ors et déjà déclaré que l'année 2017-2018 serait une année blanche, ils et elles ont décidé le boycott de leurs examens. Ils et elles ont mis en place un service minium dans les hôpitaux de 16h jusqu'à 8h du matin, et s'apprêtent à passer de 8h à 8h. Les sit-in et les manifestations régionales vont continuer, et de nouvelles marches tenteront de sortir de l'hôpital Mustapha Bacha d'Alger durant les semaines qui viennent.

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Dans d'autres secteurs, comme celui de l'éducation, le soutien de la part de certains syndicats autonomes s'est exprimé. Par exemple, le CLA (Conseil des enseignants d'Algérie) a réalisé des communiqués pour dénoncer la répression des médecins. Et le secteur de l'éducation a organisé également des grèves pour défendre des services publics, gratuits et de qualité face aux réformes néolibérales du pouvoir. L'intersyndicale de l'éducation appelait ainsi à plusieurs rassemblement le 4 Avril dans les wilayet de Bouira, Oran, Laghouat et Annaba. Tout comme l'hôpital, l'école algérienne est menacée par l'ouverture au privé, qui condamne les citoyens les plus modestes.

Annaba, 4/04/2018. Rassemblement de l'intersyndicale de l'éducation devant la wilaya d'Annaba.

Alors que la CNT participe en ce moment au mouvement contre la casse des services publics par Macron en France, elle exprime toute sa solidarité avec tous les militant-e-s algériens-nes qui se battent pour la dignité, la santé, l'éducation, pour de véritables services publics en Algérie.

Nous connaissons le visage hypocrite de nos dirigeants qui se complaisent dans leurs politiques néolibérales et impérialistes, de nos généraux respectifs qui s'amusent dans leurs palais.

De Paris à Alger, occupation des facs et boycott des examens jusqu'à la satisfaction de nos revendications ! A bas la répression de toutes les polices !

Solidarité internationale avec les résident-e-s algériens, tadamon duwali maa el atibba el jazayrin !

Groupe Afrique du secrétariat international de la CNT
africa cnt-f.org

Revendications de la Coordination nationale des médecins résident-e-s :

1- L’abrogation de l’obligation du service civil et son remplacement par un autre système de couverture sanitaire pour l’intérêt du patient et l’épanouissement socioprofessionnel du médecin spécialiste.
2- Le droit à la dispense du service militaire comme tout citoyen algérien.
3- Le droit à une formation de qualité pour le résident en sciences médicales.
4- La révision du statut général du résident
5- Le droit aux œuvres sociales comme tous les salariés et travailleurs algériens.
6- La discussion sur les revendications des spécialistes en biologie clinique en ce qui concerne l’agrément d’installation à titre privée.

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