Secrétariat international de la CNT

Entretien avec des camarades grecs de l’ESE

Publié le jeudi 14 juin 2012

Dans le cadre de la tournée de trois camarades de l’ESE, nous nous sommes entretenus avec ces derniers le 6 mai lors de leur passage à Paris.

Groupe de travail Europe  : Pouvez-vous nous faire un rappel de l'histoire de la Grèce depuis la chute du régime des colonels jusqu'à la « crise  »  ?

ESE  : À la fin de la dictature en Grèce, en 1974, des mouvements sociaux se développent. Beaucoup d'élus obtenaient des victoires  : l'augmentation de salaires par exemple (pour 40 personnes d'une entreprise). Les syndicats d'un secteur faisaient des grèves générales par solidarité avec d'autres syndicats. Il y a aussi eu des grèves durables sur plusieurs mois (8 ou 10).

Les partis socio-démocrates arrivent au pouvoir en 1981 avec un discours de gauche. Beaucoup de personnes de ce mouvement ont été satisfaites mais se sont parallèlement faites « récupérées  ». Pendant cette période un début de connexion du syndicalisme avec l'État est apparu. La participation des partis politiques au gouvernement pendant 25 ans a transformé le syndicalisme en un objet donné aux membres des partis politiques socialistes qui sont devenus membres professionnels du syndicalisme.

Toutes ces caractéristiques ont affaibli le mouvement syndical en Grèce mais quelques luttes en 1999 menées par les travailleurs des transports contre la privatisation des moyens de transports ont abouti à des victoires.
En 1998, une lutte contre les changements des systèmes d'assurance et de sécurité sociale a également été une victoire, l'État a reculé et n'a pas effectué les réformes prévus.

Une lutte des étudiants s’est déroulée en 2005/2006 au niveau social contre la privatisation des universités et avec les caractéristiques d'un mouvement durable qui est allé jusqu'en décembre 2008 avec une situation révolutionnaire. C'était une réaction très violente des jeunes contre le système qui s'est étendue dans toutes les villes de Grèce pas seulement à Athènes.

Comment la population réagit face aux plans de rigueur imposés par le gouvernement grec ?

Jusqu'au 5 mai 2010, il y a eu quelques grèves générales, qui n'ont pas duré très longtemps, une journée seulement, mais très massives et très violentes. Ces grèves générales avaient lieu environ une fois par mois, elles n'étaient pas préparées, bien qu'appelées par les syndicats. Il y avait beaucoup de monde aux manifestations, mais peu de boutiques ou d’entreprises du secteur privées étaient fermées. Les grèves générales étaient plus un lieu de concentration pour manifester que pour bloquer l'économie.

Le 5 mai, une grève générale massive a eu lieu à Athènes, le centre-ville a brûlé, il y avait beaucoup de slogans violents pour tout détruire, et pas que de la part des anarchistes. La manifestation a essayé d'entrer au parlement, beaucoup de banques et de grands magasins ont brûlé. Malheureusement, dans une banque, trois travailleurs sont morts à cause des flammes. Au début tout le monde pensait que comme l'information venait de la police, elle était fausse, mais quand elle a été réaffirmée tout le monde est rentré chez soi. Après, la police est venue à Exarchia et a arrêté beaucoup de monde dans les centres sociaux et les squats. Du coup, les manifestations ont été moins massives.

Il y a eu aussi une autre grève générale, en 2010, après laquelle Papandréou a promis de créer un gouvernement d'unité nationale. Beaucoup ont pensé que c'était une victoire, que le gouvernement était tombé, mais ce n'était pas vrai. Ça a provoqué beaucoup de rage dans la société grecque, les manifestations ont été très suivies suite à ça, beaucoup de manifestants ont étés frappés très violemment par la police sans raisons.

En mai 2011 il y a eu le mouvement des Indignés. Ça a commencé par une invitation sur Facebook, c'est rapidement devenu très massif. Les assemblées des Indignés parlaient de démocratie directe et d'autogestion. Dans quelques villes ce mouvement avait des caractéristiques plus radicales  : manifs, occupations... Ailleurs ils sont souvent restés sur la place occupée. À Athènes le mouvement était séparé en deux parties  : sur la place Syntagma, il y avait en bas des gens avec des valeurs plutôt nationales, des drapeaux grecs  ; de l'autre côté il y avait des gens plus influencés par des mouvements anticapitalistes. Ce dernier était beaucoup plus massif. Ils y ont créée des assemblées générales. Parfois, lors de grèves générales, les Indignés appelaient eux aussi à encercler le parlement. Au final ils n'ont pas eu un rôle très important parce que leurs caractéristiques n'étaient pas très claires  : on pouvait trouver, dans les AG, des patrons comme des travailleurs. Il y avait des patrons qui refusaient l'augmentation de taxes, ou qui ne voulaient pas perdre leurs privilèges. Les Indignés ne trouvaient pas de terrains d'entente communs pour lutter ensemble  ; ils ont été pacifistes jusqu'à ce que le campement soit attaqué très violemment par la police. Il y avait aussi des gens qui n'avaient pas l'habitude de participer activement à un mouvement  : quand une décision avait été votée et prise collectivement, il n'y avait pas grand monde pour la mettre en pratique.

Il faut aussi parler de la grève générale de deux jours des 21 et 22 octobre 2011 où le Parti communiste était placé devant le Parlement, de l'autre côté de la manif – ils font des cortèges séparés. Ils ont empêchés les autres manifestants de rejoindre le parlement, ils étaient dans la posture des flics. Des heurts très violents ont eu lieu avec les membres du PC qui se sont arrêtés avec l'attaque de la police  ; au final, à cause, des lacrymogènes un syndicaliste du PC est mort.

Le 11 novembre, Papandréou a annoncé qu'il allait faire un référendum sur la question de rester ou non dans la zone euro. Cette demande de référendum venait des Indignés. Pappandréou les appréciait beaucoup.

Vous pouvez nous en dire plus sur cette extrême droite  ?

Chez les Indignés, beaucoup avaient des drapeaux grecs mais n'étaient pas des fascistes pour autant  ; ils étaient juste convaincus qu'il fallait trouver une solution nationale. Auparavant nous n'avions pas de drapeaux grecs dans les manifestations, mais là, la parole de droite et des fascistes s’est légitimée. Cette unité nationale contre les mesures imposées par l'Europe et le gouvernement s'est rapidement développée. Avant, ces partis politiques étaient actifs dans les violences de rue, les attaques contre les migrants et les militants, mais maintenant ils ont beaucoup d'influence sur la société grecque – ce ne sont pas des personnes qui vont aller assassiner des migrants, mais qui vont voter et faire que l'extrême droite rentre au parlement.

Y'a-t-il des entreprises récupérées et autogérées par les travailleurs  ?

Il y a eu une occupation de l'hôpital, à Kilkis, qui avait deux objectifs  : payer les salaires des travailleurs (plusieurs mois d'arriérés) et refuser la nouvelle loi du gouvernement qui visait à faire payer 5 euros à chaque malade pour entrer à l'hôpital. Ce n'était pas véritablement autogéré [1]. Les travailleurs ont occupé les caisses, ils ont fait passer les examens gratuitement, pour les urgences uniquement. Ils ont aussi occupé les bureaux des dirigeants, et ils ne laissaient pas passer les papiers concernant les diminutions de salaire ou les licenciements. Ce qui est important à savoir, c'est que tous les syndicats de cette petite ville étaient solidaires, pas seulement le syndicat des médecins.

Il y a eu aussi le journal Eleftherotypia, très populaire en Grèce, où les travailleurs n'étaient là aussi plus payés depuis plusieurs mois. Ils ont fait une grève de 40 jours pour être payés, en occupant l'entreprise et en publiant leur journal qui s'appelait « Eleftherotypia des travailleurs  ». Ça a été un très bon moyen de propagande. Il y avait des articles très radicaux sur l'autogestion, la lutte des travailleurs. Il y a eu deux numéros.
Il y a encore les travailleurs d'une chaîne de télé privée  : 650 travailleurs, pas que des journalistes, ont occupé leur lieu de travail puis ont utilisé le studio pour parler de leur grève. Mais au final le propriétaire a eu recours à la justice et la grève a pris fin.

Dans la métallurgie aussi il y a une grève, qui en est maintenant à plus de 200 jours. C'est une grève sans occupation mais les travailleurs y sont quand même tous les jours pour se défendre contre les patrons et les briseurs de grève.

Quelles sont les activités de l'ESE  ?

L'ESE n'est pas un syndicat mais une union de travailleurs de différents secteurs de travail, il y a des locaux dans trois villes de Grèce  : Ionanina, Athènes, Théssalonique. L'ESE existe depuis octobre 2003 à Athènes.
Le but est de contrer les syndicats « démocrates  » pour dire que les décisions doivent prises en AG et provoquer la création de nouveaux syndicats de base autogérés.

Un des axes du moment est de commencer une discussion sur le terrain anarchiste sur le syndicalisme car la plupart du mouvement libertaire en Grèce n'a pas de contact avec le monde du travail et le syndicalisme.
Ceci est difficile, mais l'ESE a permis la création de quelques syndicats.

Nous sommes au début d'une discussion entre syndicats de base et collectifs de travailleurs pour créer une confédération mais pour faire ça il faut être plus nombreux car les lois ne sont pas très claires sur ce sujet, ça n'existait pas avant en Grèce. Les syndicats où l'ESE participe, font un effort pour participer à cette coordination des syndicats de base. Ils veulent appeler à une grève générale durable pour bloquer la production. En Grèce comme il n'y a pas beaucoup de syndicats et que le syndicalisme est difficile il y a parfois des luttes et victoire en dehors des syndicats.

À Ioanina, des collectifs on fait pression sur les patrons avec des manifestations pour réemployer ou pour obtenir des avancées sociales.
Par exemple quelques livreurs de fast-food ont été licenciés à cause de la grève du 1er mai 2011 et ont eu beaucoup de pression et grâce à l'ESE ils ont obtenu de meilleures conditions de travail après.

Propos recueillis par des camarades du GT Europe.

Notes

[1Voir « En Grèce, l’autogestion gagne du terrain » paru dans le Combat syndicaliste n°367 d’avril 2012.

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