Publié le vendredi 30 juin 2017
Par chance, aucune guerre impérialiste pour les ressources n'a trouvé son théâtre en Tunisie, et pourtant, gaz et pétrole se trouvent dans son sous-sol. En mai 2017, à Tataouine, la ville du sud où fût tourné le premier épisode du film "la guerre des étoiles" (et sa planète "Tatooine"), a éclaté un mouvement de protestation qui ressemble à tout ceux qui traversent le Maghreb depuis plusieurs années : les habitants se battent pour leurs ressources spoliées, pour leur dignité. Mais la mode des "printemps arabe" est passée, elle n'a laissé qu'un vague goût amer de transitions décoratives et de trahisons démocratiques, et Tataouine, si proche il y a peu, se retrouve de nouveau à des années lumières du spectacle à l'occidentale.
Les ressources en question
En fait, cela fait depuis de longues années que les questions liés à l'exploitation mafieuse du gaz et du pétrole sont au cœur des préoccupations des habitants de Tataouine. Dans le sillage du mouvement révolutionnaire du printemps 2011, et à l'instar d'autres régions dont le sous-sol est riche (par exemple, Gafsa et son phosphate), les revendications liées au contrôle et la redistribution des richesses apparaissent. Ainsi, aujourd'hui à Tataouine, on retrouve au coeur des manifestations l'idée qu'une part importante des bénéfices dans l'exploitation des ressources doit servir au développement de la région, ou bien que ses habitants devraient être embauchés en priorité dans les entreprises du secteur. Ces revendications doivent être mise dans leur contexte : Tataouine fait partie des régions de l'intérieur de la Tunisie qui ont toujours été délaissées par l'Etat central et ses élites issues du littoral. Les gouvernements qui se succèdent depuis la chute de Ben Ali (libéraux et religieux) n'ont fait que poursuivre la même politique de marginalisation des régions intérieures, comme celle de Tataouine, et des quartiers populaires des grandes villes. Tout comme le Rif marocain, ou les régions voisines de Sidi Bou Zid et Gafsa, Tataouine a toujours fait partie des régions contestataires contre le colonialisme, puis contre la dictature de l’État post-indépendant. Si Tataouine est marginalisée, c'est parce qu'elle subit un "colonialisme interne", celui de l’État central, qui a pris le relais de l'administration française, afin d'intégrer le capital tunisien dans le marché mondial.
Cette fois, tout avait commencé par une histoire néocoloniale classique : le 8 avril la société canadienne de pétrole Winstar licencie 24 ouvriers tunisiens à Tataouine. Cette entreprise, qui ignorait déjà les revendications locales pour un véritable investissements dans la région, provoque ainsi un premier sit-in de quelques jeunes chômeurs, au centre de la ville de Tataouine. Les sit-in se multiplient, et le 23 avril 2017, 1500 jeunes de Tataouine décident de s'établir à 100 kilomêtres au sud vers le champ pétrolifère d'El Kamour, tant que le gouvernement ne répond pas à leurs revendications : "1500 postes d'emploi dans les sociétés pétrolières, la création de 3000 postes dans la société d'environnement et jardinage et l'attribution de 100 millions de dinars au profit du Fond du développement de la région." Plus largement, ils revendiquent que 70% des emplois du secteur reviennent aux habitants de la région. "De loin, les tentes blanches d’El Kamour évoquent un No DAPL des indiens d’Amérique du Nord luttant contre le colonialisme pétrolier" écrit la journaliste Henda Chenaoui sur le site d'opposition nawaat.org le 12/05/2017.
Anouar Sakrafi, un martyr de plus
Le 27 avril, jour de la visite du premier ministre libéral Youssef Chahed, adepte des politiques du FMI, Tataouine est en grève générale. La pression est alors très forte sur le gouvernement, et c'est le ministre de l'emploi Imed Hammami, qui va négocier avec les Tataouinois avec un constant mépris, en leur proposant en permanence des revendications revues à la baisse. Comme les sit-inneurs d'El Kamour refusent de partir sans avoir reçu une véritable réponse, la situation pourrit jour après jour. Le 20 mai, après un dernier ultimatum de 48 heures lancé par les manifestants au gouvernement, sans réponse, ils décident de bloquer le pompage du pétrole. Sur ordre du président-dictateur Beji Caïd Sebsi, l'armée intervient pour briser le sit-in, en brûlant les tentes des protestataires, et en tirant gaz lacrymogènes et chevrotines sur les manifestants. Au passage, les hommes politiques et les médias proches du régime accusent les protestataires d'être financés par la main de l'étranger, tout comme le régime marocain le fait avec les protestataires du Rif. Il s'ensuit plusieurs jours d'affrontements, dans lesquels des centaines de personnes sont gravement blessées. Un manifestant, Anouar Sakrafi, est percuté par un véhicule de l'armée au milieu des affrontements, et meurt le 22 mai.
L'état d'urgence plus le néocolonialisme... et l'impuissance de l'UGTT
Depuis l'été 2015, à la suite des attentats du Bardo et de Sousse, l'état d'urgence a été décrété par Sebsi en Tunisie. Cela lui permet d'envoyer l'armée en face des mouvements sociaux, comme donc à Tataouine, de réprimer et de tuer avec la "légitimité" plus grande de l'armée par apport à la police. Le pays est donc une sorte de laboratoire de l'état d'urgence, observé avec une très grande attention par le parrain français. Le Quai d'Orsay, recommande depuis le 22 mai d'éviter la région de Tataouine à cause des manifestations qui traversent la région. C'est ce qu'on pourrait appeler la solidarité à la française avec les dictateurs. On ne condamne par un dictateur qui assassine un manifestant et réprime des demandes légitimes, on recommande d'éviter les régions contestataires !
Dans cette situation, l'UGTT centrale syndicale historique, et qui joue encore un rôle important dans les mouvements sociaux, semble cette fois-ci complètement dépassée par les événements. Elle est particulièrement mal vue par les jeunes chômeurs de Tataouine qui rappellent les promesses qui n'ont jamais été tenues depuis des années par les gouvernements successifs, avec lesquels l'UGTT était censé négocier. En acceptant une "unité nationale" avec l'Etat et le syndicat des patrons l'UGTT a hypotèqué une partie de sa crédibilité. Le rejet croissant à son égard s'exprime dans le mouvement social de Tataouine. Le 8 juin, après deux mois de lutte, le secrétaire général de l'UGTT Noureddine Taboubi finissait tardivement par proposer aux sit-inneurs sa médiation avec le gouvernement, sans s'exprimer sur leurs revendications ni sur la question des ressources, ou des entreprises étrangères qui les exploitent. Cela ne suffira ni à la région de Tataouine, ni au peuple tunisien.
Groupe de travail Afrique du secrétariat international de la CNT
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