Secrétariat international de la CNT

Des peuples et des terres arrachées au capitalisme

Publié le mardi 5 mai 2020

local/cache-vignettes/L300xH201/istmo-e94ed.jpg?1588666124Nous relayons souvent dans ces pages les luttes des travailleur-ses dans d'autres pays, car nous sommes internationalistes et convaincus que nous ne vaincrons le capitalisme que grâce à l'union des travailleur-ses de tous les pays ; dans un contexte de mondialisation accrue, comme nous le montre chaque jour la manière dont les multinationales et la logistique des transports mettent en relation les pays les plus éloignés du monde dans une logique d'exploitation des ressources au profit des marchands, et comme l'expansion mondiale du COVID-19, avec les conséquences que nous subissons aujourd'hui nous l'expose en pleine face, l'internationalisation des luttes semble une évidence.
Pourtant, nous pensons que ces luttes commencent toujours localement, et nous attachons particulièrement à la défense des peuples et leur droit à l'autodétermination. Nous soutenons en effet tous les peuples qui luttent pour la défense de leurs intérêts contre l'état et ses logiques capitalistes, impérialistes, hégémoniques. Les luttes des communautés contre les "grands projets" en Amérique illustrent parfaitement cette promiscuité d'intérêts politiques et économiques, cette union de l'état et des finances contre laquelle la solidarité internationale est la seule manière de se battre. De la même manière, nous constatons à travers les luttes autochtones pour les terres et le mode de vie des peuples originels d'Amérique que se joue une lutte contre la propriété et l'état, qui sont les piliers du capitalisme.
Parce que la vie continue pour tous ceux qui l'ont côtoyé et aimé, et que notre camarade Yoann avait à cœur de défendre ces luttes autochtones, c'est à lui que nous dédions ces pages. Ce mois-ci, l'Amérique est secouée par deux grands événements : la victoire des Sioux du Dakota aux États-Unis contre un projet d'oléoduc sur leurs terres, et la lutte dans l'isthme de Tehuantepec au Mexique contre les projets d'éoliennes d'EDF et ses filiales.

Victoire des Sioux du Dakota  [1]
Un tribunal fédéral a accédé le 27 mars 2020 à la demande des Sioux de Standing Rock d’annuler les permis fédéraux pour l’oléoduc controversé Dakota Access Pipeline. La Cour a estimé que le Corps des ingénieurs de l’armée américaine avait violé le National Environmental Policy Act en confirmant les permis fédéraux pour l’oléoduc émis en 2016. Plus précisément, la Cour a constaté que d’importantes questions sur les impacts de fuites de pétrole et la probabilité que celles-ci se produisent restaient irrésolues.
Par exemple, la Cour a critiqué le Corps pour ne pas avoir répondu aux critiques d’experts des Sioux de Standing Rock concernant son analyse, citant des problèmes tels que le risque de déversement dans le pire des cas, la difficulté de détecter des fuites lentes et de réagir aux déversements en hiver. De même, la Cour a observé que le bilan de sécurité épouvantable de la société-mère de DAPL « n’inspirait pas confiance », estimant que celui-ci aurait dû être examiné de plus près.
La décision de la Cour s’appuie fortement sur les analyses techniques menées par les directeurs d’agence et les consultants experts de la Tribu [des Sioux de Standing Rock], citant à plusieurs reprises leurs preuves selon lesquelles le risque de déversement, et les conséquences s’il se produisait, seraient bien plus graves que ce qui a été reconnu. L’arrêt de la Cour valide le travail acharné que la Tribu a produit pendant plusieurs années pour apporter une contribution technique au processus de renvoi.
La Cour a ordonné au Corps de préparer une déclaration d’impact environnemental complète sur l’oléoduc, ce que la Tribu demande depuis le début de la controverse. La Cour a demandé aux parties de soumettre des informations complémentaires sur la question de savoir s’il fallait fermer l’oléoduc dans l’intervalle. « Après des années d’engagement à défendre notre eau et notre terre, nous nous réjouissons de l’annonce de cette victoire juridique significative », a déclaré Mike Faith, président de la Tribu des Sioux de Standing Rock. « C’est une leçon d’humilité de voir comment les actions que nous avons entreprises il y a quatre ans pour défendre notre terre ancestrale continuent d’inspirer des discussions nationales sur la façon dont nos choix affectent en fin de compte cette planète. Peut-être qu’à la suite de cette décision de justice, le gouvernement fédéral commencera lui aussi à comprendre, en commençant par nous écouter lorsque nous exprimons nos préoccupations ».

Les Binnizah contre les moulins à vent d'EDF  [2]
La filiale d’EDF Renouvelables, Eolicas de Oaxaca s’apprête à commencer les travaux de son quatrième parc éolien dans la région du sud-est mexicain, l’isthme de Tehuantepec. Le gouvernement "socialiste"de Lopez Obrador soutient activement ce projet, sous couleur de green washing et d'énergie "renouvelable", faisant fi du désastre qu'il provoque pour les populations locales. EDF s’est implanté dans la région depuis 2009, aux côtés d’entreprises espagnoles, allemandes et danoises comptant au total 28 parcs éoliens et environ 2000 éoliennes. Alors que la mesure de l’électricité produite est toujours annoncée en nombre de personnes bénéficiaires, l’énergie produite dans l’isthme n’a jamais servie à éclairer les maisons de ses habitants : elle est revendue directement aux grandes entreprises comme Coca Cola ou Grupo Bimbo (numéro un de l’agroalimentaire au Mexique). Le nouveau projet s'arroge ainsi plus de 4500 nouveaux hectares, pris sur des terres certes venteuses, mais surtout indigènes. Selon l’agenda de l’entreprise le projet devait initialement être opérationnel pour le mois de juin 2019. C’est pour cela que depuis 2017, elle tente d’imposer via la Secretaria de Energia (SENER), la réalisation de la dite « consultation indigène préalable, libre et informée » pour pouvoir clôturer la phase informative et commencer les travaux. Depuis lors les opposants au projet représentés par les comuneros d’Union Hidalgo et autres collectifs n’ont cessé de dénoncer l’absence de conditions adéquates pour la tenue de cette consultation [3].
L’assemblée des comuneros est l’autorité propriétaire des terres communales, représentée légalement par son commissaire des biens communaux. Les comuneros y décident quel sera l’usage des terres et règlent les différents problèmes qui se posent à eux comme par exemple les conflits sur les limites de terres entre différentes communautés. L’affaiblissement des autorités communales les dernières décennies a eu pour conséquence l’établissement d’actes de propriété via des cabinets notariaux sur les terres d’usage communal, le tout appuyé par les administrations municipales. Cette procédure est illégale au regard du droit agraire des communautés. Malheureusement, peu à peu, au fil des années, l’idée d’une assemblée administrant l’usage des terres communales s’est éteinte dans l’esprit des habitants. Très peu de personnes se souviennent du statut de ces terres aujourd’hui, les comuneros sont environ 200 et pour la plupart des personnes âgées. Tout cela augmente la difficulté et l’isolement de leur tâche de défense des biens communaux. Ainsi, EDF détient déjà tous les contrats de location des terres qu’elle a obtenu auprès des petits propriétaires terriens moyennant finances. Cela fait déjà plusieurs années que des entreprises comme EDF ou Demex (entreprise espagnole qui possède entre autres un parc éolien sur les terres d’Union Hidalgo) achètent la population en promettant des emplois futur dans les parcs, en investissant dans la réparation d’espaces publics ou en organisant des fêtes privées pour les propriétaires tous frais payés avec bières, botanas (tapas) et musique à volonté.
Les simulacres de "consultation" se poursuivent cependant, en langue zapotèque pour manifester la "bonne volonté" du gouvernement- alors que la plupart des personnes qui assistent aux réunions sont ramenées par les groupes de petits propriétaires, ou alors sont des employés de la municipalité et étudiants de l’université en énergie renouvelable forcés d’y assister sous peine de licenciement. L'usage de la langue zapotèque n'empêche pas les discussions d'être tellement techniques que les participants, payés 250 pesos pour venir faire acte de figuration, sont difficilement capables d'en comprendre les enjeux environnementaux. La disparition des oiseaux, la disparition des poissons dans la lagune due aux vibrations provoquées par les turbines dans le sol et à sa contamination par l’huile qui dégouline le long des tubes ne semblent guère gêner les officiels qui parlent de respect de l'agriculture traditionnelle.
De toute façon, les opposants au projets sont menacés de mort et exécutés par des mafias en cheville avec le gouverneur, dans un état gangréné par la violence, la corruption et la misère. Le séisme de 2017 a laissé des ruines partout, et les promesses d'embauche par les compagnies d'éoliennes, même si elles ne sont pas tenues, donnent toute légitimité à la violence d'état et ses sicaires. Les défenseurs des droits mandatés par des ONG font certes un travail remarquable pour que les assemblées consultatives se réalisent dans des conditions plus démocratiques, mais ils ne parviendront pas à inverser le rapport de force. Pour cela, un avocat rédigea un amparo [4] agraire qui permettrait de faire valoir l’autorité des terres de la communauté agraire de Juchitan, dévoilant l’illégalité des procédures de privatisation des terres depuis des années. L’utilisation de ces recours par les communautés est une des armes les plus utilisées et efficaces pour stopper un projet, ou au moins de ralentir considérablement le temps de la procédure. Récemment, un amparo déposé contre le projet du Tren Maya [5] fût gagné par la communauté de Calakmul (Campeche), interdisant les travaux de s’effectuer dans son territoire. Les communautés Chontal dans l’État de Oaxaca ont également gagné récemment un amparo suspendant les opérations d’une concession minière canadienne dans leur territoire.
La phase de "consultation" tire à sa fin, les travaux devraient commencer en juillet 2020. Face à l'imminence de ce désastre, les comuneros des différents peuples se rassemblent et s'organisent. Dans les prochains mois, cette capacité à dépasser les clivages pour s'unir sera décisive.
Ce projet s'inscrit dans une perspective plus vaste, celle des travaux pharaoniques mis en oeuvre par le gouvernement mexicain dans l'isthme, destiné à créer un corridor intra-océanique par voie terrestre : train de frêt, autoroutes, industries le long du parcours pour accélérer le commerce avec les États-Unis, et ralentir l'immigration dans le sens inverse.
Face à l'ampleur des projets et de la destruction des communautés orchestrée par Lopez Obrador, la lutte s'organise, s'intensifie, du Chiapas au Pueblo. Leurs combats, qualifiés comme ceux de l'extrême droite de "conservateurs" par AMLO, sont au contraire porteurs d'un nouvel espoir pour tous les peuples : la possibilité de l'union, et de la récupération d'un mode de vie, d'un territoire, qui zèbre peu à peu le tissu doré du capitalisme, fût-il d'état comme au Mexique.
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Notes

[1Source : communiqué du CSIA-Nitassinan, intégralement repris

[2Source : lundimatin 236, 30 mars 2020

[3"Les comuneros signalent que la procédure de consultation n’a pas respecté le caractère « préalable » qu’elle doit avoir, dans la mesure où cela fait deux ans que EDF s’accapare des terres communales sans le consentement de leur assemblée, et qu’elle a consolidé et renforcé ses relations avec les petits propriétaires, passant sous silence le caractère communal du territoire : un mépris de plus envers les droits concernant les terres communales et la libre détermination. Ce désaccord entre comuneros et petits propriétaires est grave et connaît des antécédents. En 1964, la Résolution Présidentielle concernant la Titulation de Biens Communaux reconnaît et attribue 68.112 ha à la municipalité zapotèque de Juchitán de Zaragoza et ses annexes : Xadani, La Ventosa, El Espinal, Chicapa de Castro et Unión Hidalgo ", op.cit

[4Recours, mot à mot "protection"

[5Le tren Maya est un des projets phare de la présidence de Andres Manuel Obrador. Il consiste en la construction d’une ligne ferroviaire qui fait le tour de la péninsule du Yucatán, passant par les Etats du Chiapas, Tabasco, Campeche, Quintana Roo et Yucatán et traversant de nombreuses communautés indigènes. Le but affiché de ce train est de promouvoir un parcours touristique au travers des communautés pour étaler la concentration touristique et permettre le « développement » de ces régions pauvres dans le « respect » de l’environnement.

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