Secrétariat international de la CNT

Des peuples en lutte face au COVID

Publié le lundi 22 juin 2020

local/cache-vignettes/L300xH212/imagen_captada_por_marcela_valdata_investigadora_de_la_universidad_sureno-2c804.jpg?1592812224 [1]

L'arrivée des Européens et avec eux de maladies hautement contagieuses en Amérique a signé une hécatombe démographique parmi les peuples originaires. La pandémie de Covid-19 rappelle cet épisode particulièrement sombre de l'histoire du continent, car la maladie touche massivement les peuples autochtones des différents pays, révélant une fois encore les politiques inégalitaires. "Un bon Indien est un Indien mort" diraient certains, ou qu'on laisse mourir en l'abandonnant à des conditions de vie insalubres.

Aux Etats-Unis, au Brésil, en Argentine notamment, les communautés autochtones sont parmi les plus touchées (les Navajos de l'ouest des Etats-Unis constituent le foyer le plus important après la ville de New York). Elles doivent lutter sur tous les fronts : la maladie elle-même (sans les moyens mis en oeuvre par l'état ou la région), les difficultés d'approvisionnement et de subsistance, les attaques de leur territoire.

Du nord au sud, des conditions de vie précaires

Dans la réserve navajo qui s'étend sur 71000km2 (la taille de l'Ecosse), douze centres de santé seulement permettent de venir en aide aux habitants [2] . La pauvreté omniprésente, dans des foyers qui abritent souvent trois ou quatre générations, est à la source de maladies chroniques renforçant la mortalité dûe au Covid-19 : diabète, hypertension, obésité... A ces conditions de vie s'ajoutent l'éloignement des points d'eau potable, et celui des infrastructures numériques.

De la même façon, les peuples originaires d'Argentine ont été complètement laissés pour compte par le gouvernement péroniste d'Alberto Fernandez en Argentine. Manque de nourriture, d’eau, de médicaments et exclusion de la société. Les Wichis, présents dans le Chaco, dans les provinces de Formosa et Salta, vivent dans des situations très précaires ; huttes en terre cuite ou en bois, dont le toit est souvent fait de tôle ondulée. Et la cohabitation intergénérationnelle dans un espace restreint surchauffé constitue un obstacle au confinement. D’habitude chasseurs et pêcheurs, les Wichis perdent une importante source d'alimentation suite aux restrictions de mobilités imposées par le gouvernement. Par ailleurs, ces populations étaient habituées à aller chercher leurs ressources d’eau en ville, n'ayant pas de station d'épuuration à proximité. Enfin, les Wichis ont perdu leur principale source de revenus puisqu’ils ne peuvent plus vendre d’artisanat.

Cette situation désastreuse est également vécue par les Mapuches, présents en Patagonie. Dans la province de Neuquén, la communauté Lof Cayupan, composée de 150 familles, se situe à 65 km de Zapala, la ville la plus proche. Avec la mise en place du confinement, les autorités argentines ont décidé de fermer la route qui traverse la communauté et la ville. Privée d’accès à cette route, la communauté Mapuche ne peut donc plus s’approvisionner en nourriture ni vendre ses élevages caprins et ovins. Le centre d’artisanat Mapuche a aussi fermé. En plus de cette perte de revenus, l’hôpital le plus proche est celui de Zapala : il est donc devenu impossible pour cette communauté de bénéficier de soins de santé. Pour Hugo Lican, le chef de la communauté Ruka Choroy, les difficultés d’approvisionnement en bois de chauffage, constituent un véritable problème avec l’hiver qui arrive. Les communautés Guaranies, au nord ouest du pays, ont dû faire face à des difficultés semblables.

Les populations indigènes ont également des difficultés à obtenir les aides économiques mises en place par l’État argentin pour faire face au coronavirus. Pour le mois d’avril, le revenu familial d’urgence (IFE) a été déployé pour permettre aux travailleurs autonomes et à ceux dont les revenus sont informels, de pallier les pertes économiques engendrées par la pandémie. Cette aide s’élève à un montant d’environ 200 euros. Au total, 1 687 communautés indigènes pourraient potentiellement en bénéficier. Mais beaucoup de communautés n'ont pas accès à Internet ou sont trop éloignées des structures étatiques pour en faire la demande, ou effectuer de longues démarches administratives.
La distribution de bons alimentaires mise en place par le gouvernement s’est également complexifiée en raison de l'éloignement des villages et de la fermeture des instances publiques.

Face à l’inaction du gouvernement, seuls les ONG et les groupes universitaires s'engagent auprès des peuples indigènes, traduisant entre autre en langues indigènes des mesures d’hygiène.

Les peuples du Brésil menacés par l'exploitation minière

Au Brésil, où le virus a été traité par le président comme une "simple grippe", et où le nombre de morts ne cesse de s'accroître, les peuples autochtones sont aussi soumis à une augmentation des violations de leurs territoires. En effet, les va-et-vient d'exploitants de mines illégales, les exposent au virus, alors qu'ils ne reçoivent aucune protection de l'état.
Parallèlement, une enquête [3] indique que les zones déboisées ont pratiquement doublé en Amazonie, passant de 2649 à 5076 kilomètres carrés.

Le rythme de progression de l’exploitation minière illégale est tout aussi inquiétant. « Rien que dans les terres des Yanomami, il y a déjà plus de 30 000 mineurs », rapporte le coordinateur du Conseil missionnaire indigène (CIMI), Antonio Eduardo Oliveira. Jusqu’à la fin de l’année dernière, l’estimation était de 20 000 mineurs. La crise sanitaire a encore affaibli les contrôles et a ouvert des brèches. De plus le Secrétariat spécial à la santé indigène (SESAI) n’aurait aucun plan de prévention d’urgence ou de confinement au cas où la maladie progresserait.

Enoque Taurepang, coordinateur du Conseil indigéniste de Roraima, affirme que la loi ne fonctionne pas pour les mines illégales : « Nous luttons contre l’État, contre cette maladie et nous ne savons pas combien de temps encore nous pourrons repousser toutes ces attaques. Nous sommes subordonnés à un État, à la loi et à la Constitution, qui ne fonctionnent qu’au profit des hommes d’affaires de ce gouvernement.» Selon lui, l’absence d’organes de l’État et le manque d’équipements de base dans les postes de soins - tels que gants, masques, gel hydroalcoolique et médicaments - font craindre une rapide contagion parmi les populations autochtones et chez les dirigeants qui servent de médiateurs entre les divers villages.
En outre, Enoque Taurepang, qui est aussi chef de la communauté Araça dans l'état de Roraima, témoigne de la dificulté de s'isoler dans une région traversée par des flux d'exploiteurs miniers illégaux, mais aussi de migrants venus du Vénézuela, ou repartant dans leur pays d'origine, et de citadins qui tentent de se protéger en quittant les grandes agglomérations.

Au Congrès, la résistance autochtone au coronavirus est menée par la députée Joenia Wapichana (du parti Rede-RRR), coordinatrice du Front parlementaire commun pour la défense des droits des peuples autochtones. « L’augmentation des invasions de terres indigènes est une préoccupation supplémentaire. Cette période de crise sanitaire n’a pas arrêté les invasions qui visent l’exploitation des ressources naturelles à l’intérieur des terres indigènes », a déclaré la parlementaire dans une interview en ligne, le 9 avril. Joenia Wapichana a également assuré que les peuples autochtones ont agi rapidement et fermement pour empêcher le Covid-19 de se propager dans les villages. « Les communautés ont travaillé sans relâche pour alerter leur propre population de ne pas se rendre dans les centres urbains, en adoptant des mesures d’isolement afin qu’il n’y ait pas d’entrées de personnes étrangères, des efforts visant précisément à protéger la collectivité », a-t-elle dit.

Résistances autochtones

La résistance des peuples autochtone s'organise à travers le continent. Depuis la prison de Temuco au Chili où il a commencé depuis une quinzaine de jours une grève de la faim, avec ses compagnons prisonniers politiques, le machi mapuche Celestino Cordova écrit une lettre publique [4] pour demander à rejoindre son lof, sa communauté, pour vivre l'isolement auprès des siens sur une terre qu'il a toujours défendue, et qui guide encore sa résistance.

La grève de la faim a commencé le 4 mai, et se poursuit, dans l'indifférence du gouvernement de Piñera et en dépit des innombrables soutiens qui accompagnent Cordova et ses compagnons. Le 13 avril, en plein confinement, on apprenait l'explosion d'un pont sur la route de Tirua dans la région de Lleu Lleu. L'action a été revendiquée le lendemain par le groupe de Résistance mapuche Lavkenche, de même que les coups de feu visant les gendarmes venus sur place [5] . Cette action a été menée contre les forces armées au service des entreprises forestières. Leur communiqué évoque la volonté, à travers cette action, d'avancer d'un nouveau pas vers l'unité de la résistance mapuche dans la zone de Lavkenche et de réaffirmer leur volonté d'expulser sans compromis de leur territoire toute entreprise forestière ou exprimant des visées capitalistes. D'autres initiatives mapuches ont vu le jour.

Au Mexique, des organisations indigènes se sont unies dans un "Réseau pour la défense du maïs" [6]. Un large appel a été relayé par le site Acciones diversidad :

– le droit des peuples autochtones, des communautés et des organisations à organiser leur isolement de façon autonome, aussi longtemps qu'elles le souhaitent, et le refus d'un "retour à la normale" prématuré ;

– la liberté d'approvisionnement et de production agricole, sans aucune restriction, ni dans le choix des semences locales ni dans celui des techniques agricoles, pour permettre à toutes les communautés de s'auto-suffire alors que les pénuries commencent à se faire ressentir ;

– la santé et la protection sociale des peuples pour lutter contre la privatisation des systèmes de soin promus par le système néolibéral. La gratuité et l'universalité des soins médicaux pour l'ensemble du Mexique, y compris pour les travailleurs agricoles migrants ;

– le respect intégral des droits du travail

– la remise en cause et l'arrêt de l'extractivisme car il nuit à la santé des peuples autochtones : exploitation minière, des gaz de schiste, l'accaparement et l'exploitation de l'eau, mais aussi la production agro-industrielle qui pollue massivement et déclenche des foyers d'infection et de maladie (élevage industriel des porcs, des poulets etc)

– le refus de toute culture transgénique dans le pays

– le rejet définitif des super-projets et de tout projet d'exploitation

– la protection active des femmes et des filles, et la prévention de toute violence de genre de façon plus générale.

A travers cette pétition "pour la défense du maïs", c'est tout le système capitaliste qui est donc remis en cause par les communautés autochtones du Mexique.

Les résistances autochtones se développent et s'organisent face à cette pandémie conséquences des logiques capitalistes. La pandémie a violemment touché les populations les plus démunies, mais elle a aussi accru la conscience d'un impossible "retour à la normale", ou d'une "normalité" qui n'a jamais existé.

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Source : Média Desinformémons : Une femme Navajo privée d'eau.

Notes

[1Source : Photographie de Marcela Valdata, investigatrice de l’ Université Nacional de Rosario. Média argentin El Sureño.

[2Source : Marie Normand pour RFI, 15 mai 2020

[3Enquête du journal O Estado de São Paulo, basée sur des informations de l’Institut national de recherche spatiale

[4Source : Mapuexpress, le 22 mai 2020

[5Source : El Desconcierto, 15 avril 2020

[6Source : Desinformémonos, 21 mai 2020

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