Publié le mercredi 26 mars 2008
Vendredi 4 août 2007, 10h30, nous attendent, aux portes de la prison La Modelo, les membres du Comité de solidarité avec les prisonniers politiques (CSPP). Grâce à eux, les portes de l'enfer carcéral colombien s'ouvrent à nous.
La Modelo est un des cinq centres pénitencier de Bogota avec les prisons de Picota, Buen Pastor, la Distrital et l'UPJ.
Sur les murs les slogans des Autorités pénitentiaires ("Su dignidad y la mia son inviolables") nous font croire que l'État Colombien respecte la dignité des prisonniers. La réalité est toute autre.
Dans cette prison de haute sécurité, 5 000 détenus s'entassent.
Particularité, à la différence d'autres centres du pays, ici pas de séparation entre les détenus. Paramilitaires (paracos), policiers véreux, narcotrafiquants (narcos), détenus sociaux, dealers et guérilleros (les "politiques") partagent les mêmes cellules, les mêmes cours.
L'argument des Autorités : la prison est censé réconcilier les ennemis d'hier. Ambiance assurée, dans les cours, patios (ailes), au moment des promenades, parties de foot... personne ne se mélange, on s'ignore comme on peut. Une semaine encore, au moment du repas, un guérilléro a manqué de se faire planter par un paraco des Aguilas negras, les Aigles noirs. Il y a quelques années des affrontements entre prisonniers avait fait des dizaines de morts.
Autre particularité qui a son importance pour la vie au quotidien des "politiques", La Modelo est une des rares prisons de Colombie où les guérilleros sont minoritaires.
Camilo, la cinquantaine, professeur de philo, chargé de la formation idéologique au sein des Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC). Il est tombé il y a une quinzaine d'années alors qu'il ratissait le pays de ville en ville pour dispenser ses cours. Il en a pour longtemps, le cumul de ses différentes condamnations atteignant le chiffre vertigineux de ... 185 ans. Digne d'un mauvais Western…
Depuis le début de son incarcération, sa vie est rythmée par les changements réguliers de lieu de "résidence". C'est simple, Camilo a quasiment connu tous les centres pénitenciers du pays.
Pressions psychologiques, tortures, passages à tabac, impossibilité de nouer des contacts trop profonds avec ses camarades de détention. L'intérêt est simple : déshumaniser l'individu, l'humilier en permanence. Du jour au lendemain, on lui apprend qu'il est transféré dans une autre Centrale. A La Modelo, il est servi : il partage sa cellule avec un paraco, un flic et un petit dealer. Camilo ne se plaint pas. Au moins dispose-t- il d'un lit. Ce n'est pas le cas de tous ses camarades « politiques ». Certains n'ont pas les moyens de payer leur lit aux petits caïds mafieux qui contrôlent les patios. Dès lors, pas d'autres alternatives pour eux que celles de dormir à même le sol dans les couloirs , les escaliers...
Des rêves Camilo en a encore. Il rêve de redonner des cours de philo, sa passion. Il rêve d'un échange de prisonniers entre la guérilla et le gouvernement fascisant d'Uribe. Il croit aussi encore en la victoire. A la question de savoir s'il ne craint pas pour sa vie dans cette Centrale où les paracos sont ultra majoritaires. La réponse est claire. C'est non. Dirigeant politique des FARC, il a aussi l'avantage d' être le cousin de Marulanda le fondateur de cette guérilla. De quoi lui conférer une certaine protection. Pas question de le toucher. Tous le savent...
Changement de patio. Nous nous dirigeons vers l'aile 2A. Les matons nous font poireauter une bonne heure. Le temps de croiser les regards hostiles des détenus « sociaux » en transit. Gueules déglinguées par la dope et la misère. Les "sociaux" font peur. Ce sont eux qui la plupart du temps se muent en assassins (sicarios) et rejoignent les rangs des paramilitaires pour quelques pesos.
Dans la cours du patio, partie de foot endiablée, la plupart des 200 prisonniers (presos) présents sont des paracos nous confirmeront ensuite les "politiques".
En retrait, un groupe de 10 guérilleros nous attendent. Un jeune d'origine afro colombienne, commandant de la FARC, témoigne des difficultés de détention. Les paracos et les "sociaux" bénéficient de traitements de faveur. Mais à la différence de l'aile de Camilo, le philosophe, ici au patio 2A, les "politiques" sont plus nombreux et donc en imposent plus.
Début de discussion avec Danny et Victor Hugo. Tous deux ont la trentaine, sont militants de l'ELN et sont originaires de la même région l'Auraca dans l'Est du pays. Les visites sont rares, l'Arauca est loin de Bogota et la famille n'a pas la tune pour payer le bus (buseta) pour rejoindre la capitale. La famille c'est le groupe des companeros. Et ici ELNos et FARCos se mélangent, partagent et font front ensemble. Une réalité locale, hélas, lointaine de celle d'autres régions du pays où la FARC et l'ELN se mènent une guerre féroce. Question d'hégémonie et de territoire. Les paramilitaires et l'Armée colombienne sont contents, les guérilléros s'entretuent...
Danny et Victor Hugo en ont pour respectivement encore un an et deux ans. Hector, 23 ans, une tête de bébé, est moins chanceux. Il lui reste encore 6 ans à tirer. Victor et Danny retracent leur parcours. La guérilla, les filles, les morts, les camarades, la famille, l'espoir... Victor est particulièrement marqué par la difficulté carcérale de La Modelo qui lui impose de coexister avec des paracos. Parmi eux, trois membres des Aigles noirs qui purgent leur peine pour avoir tué, entres autres, son... petit frère. Antonio, 13 ans, les Aguilas Negras l'ont assassiné, et technique commune, couper les mains et les pieds. Son tort être le frère d'un guérillero...
La prison, temps de pause où l'on prend son mal en patience. Bientôt la liberté. Et pour Victor, Danny comme tous leurs companeros : la lucha sigue ...
Jérémie.
Rien pour ce mois