Publié le lundi 14 décembre 2009
Cette interview a été réalisée dans les locaux de la F.O.R.A. (organisation anarcho-syndicaliste) après une
présentation / débat sur les luttes des travailleurs du métro de Buenos-Aires
par deux de leurs délégués et des ouvriers de l'usine de Kraft-Terrabusi
représentés par un de leurs ouvriers.
Pour commencer, peux-tu te présenter et présenter ce qu'est
Kraft-Terabusi ?
Je m'appelle Nicolàs et je suis ex-travailleur de la
Kraft-Terrabusi. Terrabusi est une marque d'aliments d'ici en Argentine qui
fabrique des gâteaux, des alfajores, des crackers etc...
Quand arrive Kraft en 2000 en Argentine, la marque commence à acheter
différentes marques argentines, comme par exemple l'entreprise Terrabusi.
On dit « Kraft-Terrabusi » parce que Kraft fonctionne dans l'ancien
bâtiment de l'usine Terrabusi, mais aujourd'hui le capital appartient à cette
multinationale qu'est Kraft.
Le nom des marques de gâteaux d'origine est gardé (soucis de marketing) mais Kraft en a le monopole, son
but étant d'acheter toutes les marques argentines pour avoir le monopole du
marché des gâteaux et biscuits appéritifs.
Peux-tu nous dire comment et quand a commencé le conflit dans
l'usine ? Ainsi que la forme de représentation, si il existait un syndicat ou
si ça été une organisation spontanée ?
L'entreprise avait menacé en fin d'année dernière déjà d'une
réduction de personnel. Après il y eut des demandes de hausse de salaires en
fin d'année dernière aussi.
S'ajoute à cela l'épidémie de grippe A en Hiver, en Juin, et l'usine
n'avait pas le minimum de conditions sanitaires (papier hygiénique etc) et
vu le nombre de morts déclarés à cause de cette pandémie, les travailleurs
ont eu peur de la contagion, il s'agit de 2600 personnes concentrées en un
seul endroit.
En plus de cela, l'usine ferme la garderie des enfants d'ouvriers de l'usine
et n'offre aucune possibilité aux mères, ne serait-ce que de leur verser
l'argent nécessaire à payer une garderie. Beaucoup de mères ont commencé la
grève pour cela.
On déclare la grève et après cela, le 18 août l'entreprise annonce 160
licenciements.
Bien qu'il y avait un début d'organisation de délégués d'oppositions, l'entreprise coupait court à tout cela et la majorité des licenciements
affectaient ceux qui étaient délégués « illégaux » car le syndicat ne
nous permettait que 11 délégués pour 2600 travailleurs...
De quel syndicat il s'agit ?
Le syndicat d'industries alimentaires.
Comment fonctionne-t-il ?
C'est totalement bureaucratique, le type qui est secrétaire général
n'appartient même plus à une usine, la sienne a fermé il y a très longtemps
mais lui reste toujours à son poste...depuis les années 80, imagine-toi un
peu le genre de syndicat que c'est...Une mafia.
Et les ouvriers étaient obligés de faire partie de ce syndicat pour
n'importe type de réclamations ou actions ?
Oui ici c'est comme ça, si tu fais pas partie du syndicat tu n'as
aucun pouvoir légal. Si c'est pas le syndicat
qui appelle à la grève, la grève est directement illégale. C'est la même
chose pour les mandats, si tu n'as pas celui du syndicat, tu es délégué
mais clandestin, personne ne te défendra à part tes camarades.
Donc ce syndicat monopolisait tous les initiatives des ouvriers...
Le problème de ce syndicat, à part d'être bureaucratique c'est qu'au
lieu d'être du côté des travailleurs, il est du côté des patrons et de
l'État.
Comment s'est passée la grève du coup ? Il y a eu une rupture avec ce
syndicat ?
Oui, enfin il y a toujours eu des tensions vu qu'il nous trahissait
tout le temps , malgré cela la grève a duré 30 jours. Le syndicat nous
mettait des bâtons dans les roues continuellement et l'État n'a pas répondu aux
demandes de réintégrations des salariés licenciés. En bref on devait lutter contre l'État, le
patron et les traîtres du syndicat.
Et comment se sont déroulés les événements après l'annonce des
licenciements ?
Le 18 août, après l'annonce des licenciements commence la grève,
avec des piquets de grève, on coupe les routes, cela dure plus de 30 jours,
jusqu'au 15 octobre , jour de la répression brutale qui a lieu dans
l'usine, pour déloger les travailleurs de là, seule façon d'arrêter la
grève. Du coup ils ont rempli l'usine de policiers anti-émeutes, ils l'ont militarisée.
Et à partir de ce moment , il a fallu retourner au travail ?
Oui, l'usine fonctionne de nouveau avec la police dans l'usine
pour éviter tout « trouble », imagine-toi un peu la rage et la
peur des camarades qui devaient travailler avec les flics dans leur dos.
S'ajoute à cela une rupture interne à la commission des travailleurs dont
certains délégués élus par les camarades, appartenant à des partis
politiques nous trahissent et signent des accords contraires aux décisions
de l'assemblée des travailleurs. Parmi ces accords, un « accord de paix
sociale » de deux mois avec le Ministère du travail, ce qui mettait tous
les camarades qui voulaient continuer la lutte dans l'illégalité, ce qu'on a
fait, en rompant cet accord et en luttant pour les réintégrations des ouvriers licenciés.
Là les négociations avec le Ministère du travail ont repris, mais nous n'en
espérons rien de bon, on sait bien ce qu'ils leur convient à eux, vu qu'il
sont contre toute organisation de base de travailleurs...
Et maintenant le travail continue avec la police dans l'usine ?
Non, la situation s'est stabilisée mais la Direction s'est organisé pour contrôler les travailleurs. Ils ont mis des caméras de surveillance partout pour empêcher les
camarades de discuter entres eux, en augmentant le rythme de production et
diminuant les pauses afin que l'on ne s'organise pas de nouveau à
l'intérieur de l'usine.
Et malgré tout cela vous continuez à vous réunir et vous organiser ?
Oui malgré tout cela on a élu de nouveaux délégués et on veut lancer
une nouvelle grève, s'organiser de l'intérieur de l'usine, couper les
routes, faire ce qu'on peut pour continuer la lutte.
Et comment vous voulez vous organiser maintenant ?
On veut rien savoir du syndicat de l'alimentation, on n'aspire pas
non plus à en créer un autre syndicat. On veut s'organiser à partir de la base, avec une
assemblée de travailleurs.
J'ai remarqué que vous receviez beaucoup d'appuis, il y a eu
plusieurs actions organisées pour les grévistes de Kraft-Terabusi, comment vous gérez ces
appuis externes ?
On va chercher ces appuis où ils nous semble juste de le faire, pour
récolter une caisse de grève. Grâce à cette solidarité on a pu faire
grève si longtemps.
La même chose pour le jour de l'intervention des Policiers anti-émeutes, cela a été si violent qu'il y eu
beaucoup de mobilisation.
Aujourd'hui le climat est tendu dans l'usine, beaucoup ont peur de se faire
virer, mais on essaye de relancer le conflit.
Nico, toi tu as été licencié par Kraft à cause de ton engagement
dans la grève ?
Moi j'ai été présent le jour de l'intervention policière. J'ai résisté aux
attaques et après cela ils m'ont suspendu avec 35 camarades, en plus des 160. Des 35 ils en ont finalement réintégrer 28 et en ont viré 8, dont moi, clairement pour
avoir résisté m'être mobilisé durant la grève.
Propos recueillis par Judith (Mandatée SI de la CNT pour l'Argentine).
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