Publié le dimanche 30 août 2009
Petite histoire néolibérale de la province de Mendoza (Argentine) : encore et toujours du profit à moindre coût pour les capitalistes français…
Un pays « ouvert »
Dès le début des années 90, l'économie argentine se désétatise pour se mettre au niveau de la tendance mondiale. L'ouverture économique se traduit par un changement de patronage : les principaux secteurs productifs de l'État passent entre les mains d'investisseurs privés d'autres pays à travers des firmes communément appelées transnationales. Celles-ci, grâce à une efficience hégémonique financière, technologique et managériale, investissent facilement dans des marchés où l'emploi de la force de travail et l'exploitation des ressources sous-entendent de moindres coûts de production. Ces investissements sont facilités par des cadeaux fiscaux, une législation assouplie en matière de flexibilisation du travail et par l´arrosage toujours plus poussé des syndicalistes réformistes et des élites politiques.
Rien n´a changé ou très peu depuis le début du siècle en matière d´économie. Le pays est toujours tributaire de la balance commerciale et des paiements, donc des exportations et des importations. Il est continuellement récepteur des investissements extérieurs donc toujours contraint à s'endetter au bénéfice de l'OMC, la Banque Mondiale ou du FMI. De même, sa demande en biens de consommation durables est majoritairement en relation avec des firmes étrangères sauf qu'ici la production industrielle est délocalisée sur son territoire. Cela montre la permanence de la dépendance de l'économie argentine face au capitalisme. Bien qu'elle demeure autosuffisante en matière énergétique et agricole, elle est sans cesse reléguée à un niveau subalterne face aux nouveaux rapports de production et aux nouvelles technologies brevetées venues d'occident.
En somme, ce sont les mêmes bourgeoisies possédantes et financières qui profitaient et qui profitent encore de l'essentiel des transactions commerciales en Argentine. Sauf qu'ici, la bourgeoisie industrielle s'est largement déplacée par l'entremise des transnationales. N'est restée en place que la vieille oligarchie agro-exportatrice qui dorénavant palpe abondamment grâce au soja OGM pendant qu'une bonne partie du peuple mange mal ou très peu…
Le capital français enfonce le clou !
Les capitalistes français y trouveront bien sûr leur compte. Surtout dans la province de Mendoza où ils n´y sont pas étrangers. Déjà au 19e siècle, les terres mendocines avaient attiré de nouveaux colons à la recherche d'une activité lucrative.
Pensons ici à ces exploitations viticoles déjà misent en valeur sur le dos des travailleurs-ses. Le gouvernement argentin de l´époque en finissait avec les derniers autochtones rebelles et ces colons avaient tout le loisir de vaquer à leur gestion préférée…
En cette fin de 20e siècle cette quête avide continue mais s'est diversifiée. De nouveaux projets d'investissements voient le jour. Des secteurs comme l'électricité, l´adduction d'eau potable ou la gestion de cette précieuse ressource, l'agro-industrie viticole, l'industrie verrière et la grande distribution ont été ou sont encore pour la plupart exploités par des groupes capitalistes français. C´est la ruée vers l´or à coup de take-overs, joint-venture ou fusions-acquisitions !
L´électricité et l´eau sont accaparées par SAUR International et EDF via la création de filiales obéissantes. Total lui s´octroie quelques concessions pétrolifères. Quant aux bonnes vieilles recettes jalousement gardées du pinard français, elles ne sont pas en reste non plus. Que du joli monde ! Les ogres tels Pernod Ricard, LVMH-Chandon, Lurton, les Joyaux-Fabre, EDONIA (holding d´origine bordelaise), Michel Rolland (un des œnologues les plus prestigieux au monde), Benjamin de Rothschild, Laurent Dassault, Catherine Péré-Vergé (ex-PDG de la Cristallerie d'Arques), les familles Cuvelier et d'Aulan, plus quelques « petits », se jettent à corps perdu sur ces terres achetées pour une bouchée de pain.
En tout 3 300 ha dédiés au vin de luxe prêt à être versé sur les riches tables anglaises, américaines, australiennes, russes ou japonaises. Côté fabrication de bouteille de verre c´est Saint-Gobain qui s´adjuge ce marché juteux en mettant la main sur l´usine remembrée. Danone lui s´implante en rachetant aussi l´outil de production et la principale source thermale d´une région au climat semi-aride. Pour finir, ce cher Carrefour détruit le commerce de proximité et chante l´ode à la consommation massive et abusive. La boucle est bouclée, les capitalistes français cernent les principaux secteurs de l´économie de Mendoza.
Des conséquences bénéfiques pour qui veulent…
Des évolutions ont donc été jugées indispensables dans le cadre de cette modernisation économique. La société n'a eu d'autres choix que de s'adapter. Mais cette montée en puissance des firmes transnationales dans la province oblige à s'interroger sur le degré de dépendance des politiques et économies des États.
L'évaluation des investissements français dans la production témoigne d'une situation assez contrastée. On doit constater l'impact considérable dans l'industrie, le tourisme ou l'énergie. La province de Mendoza s'est transnationalisée et a pour ainsi dire perdu tout degré d'indépendance et d'autonomie. Ce qui témoigne d'une position relativement affaiblie, chose assez paradoxale pour l'une des régions les plus riches d'Argentine.
Cela montre aussi les intérêts stratégiques qui dominent dans les motivations de ces firmes. La conséquence immédiate étant l'intégration croissante et dominée de l'économie planétaire au système capitaliste occidental.
En fait, à travers l'exemple de Mendoza, nous sommes en présence d'un capitalisme très localisé, preuve que le « marché global » n'est qu'un élargissement des périmètres territoriaux d'action des firmes des pays les plus puissants. C'est une globalisation subie et non pas causée par la province et encore moins par la majorité des pays de l'hémisphère sud.
Cela met aussi en lumière le dilemme de développement entre régions potentiellement riches et les autres, plus limitées en ressources exploitables. L'Argentine en est la preuve éloquente. Entre un nord très pauvre, une région pampéenne très riche et Mendoza qui arrive tant bien que mal à tirer son épingle du jeu, une question se pose : comment assurer une logique harmonieuse et redistributive quand la ressource et l'économie en général sont soumises à l'intérêt privé des classes possédantes ?
Paul-André Lefebvre - UR CNT 59/62
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