Publié le dimanche 27 septembre 2009
Petite histoire néolibérale de la province de Mendoza (Argentine) : encore et toujours du profit à moindre coût pour les capitalistes français…
Une société au service de l´économie du chaos…
Mendoza a, comme l'ensemble du pays, une grande tradition agricole. Rentre ici en jeu le problème de la relation à la terre et de sa distribution. Les différentes modernisations agricoles, la diminution des bodegas et de la surface cultivée ont encouragé un processus de fragmentation et de polarisation sociale : une poignée de grands propriétaires ont accaparé la majeure partie de la terre. De fait, la population rurale diminua de 34 % en 1970 et encore de 19 % en 1991. Étant donné la faiblesse du secteur industriel face aux pays de l'hémisphère nord et qu'aucun pôle de développement économique n'accompagna cette réforme agraire, l'exode rural se transforma bien vite en migration de subsistance.
Autant dire qu'avec l'ouverture néolibérale et les réformes sur la flexibilité du travail, une situation sociale catastrophique était en gestation.
En effet, une population paysanne livrée à elle-même et qui survit dans des bidonvilles, une parité peso-dollar qui plante la compétitivité des exportations de l'industrie argentine, la montée du chômage, l'appauvrissement général des classes moyennes et ouvrières et les restructurations dans les entreprises privatisées ou non, auront vite fait de jeter les bases du chaos social généralisé.
Pour ce qui est de l'influence française sur l'emploi à Mendoza, les chiffres parlent d'eux-mêmes. Chez Danone, les effectifs passent de cent trente à quatre-vingt salariés. Dans les filiales d´EDF, c'est à chaque fois plus de 50 % de travailleurs qui sont remerciés. Pour la distribution d´eau, de sept cent quarante-six employés en 1999, les effectifs passent à cinq cent soixante-cinq en 2006. Seule la filiale de Saint-Gobain augmente sa masse salariale de cent soixante à trois cent soixante employés.
D'une manière générale, ces plans de restructuration sont facilités par des départs en retraites anticipées et une augmentation substantielle des salaires pour ceux qui restent. Le tout est facilité en amont par la corruption des syndicalistes de tout bord pour entraver toute velléité de défense des travailleurs-ses licenciés-es.
Malgré tout, il faut souligner que Mendoza a toujours eu la réputation d'être une des provinces les plus riches d'Argentine, richee en pétrole et où il est bon de pouvoir jouir d'un bon vin le regard fixé sur la Cordillère des Andes. Et où se bousculent les cars de touristes évitant soigneusement les bidonvilles. Elle est la capitale du vin argentin. Un vin argentin qui n'en a que le nom car il s'est transnationalisé pour le plus grand bénéfice de ceux qui y ont vu une grande opportunité de croissance rapide et d'argent facile. Ceci pour le plus grand malheur de petits viticulteurs locaux qui n'ont pu concurrencer cette nouvelle classe de propriétaires et qui ont dû vendre pour que dalle leurs parcelles et leurs bodegas à plus puissants qu'eux. Une province qui a vu son réseau de distribution, à l'instar des petits commerces de proximité, complètement avalé par la concurrence de mastodontes en la matière.
À même cause même conséquence, des prix bas chez l'un et l'autre les obligent à mettre la clé sous la porte par faute de compétitivité, mais aussi des producteurs qui sont pressurisés par ces grandes chaînes de distribution qui imposent leur prix grâce à leur grand monopole. Enfin, des producteurs sont obligés de revoir leur marge de vente en pressurisant à leur tour encore un peu plus les travailleurs pour se mettre au diapason des négociants. C'est une province où le gouvernement a vendu l'eau et l'électricité à des entreprises qui se sont empressées de filer dès la crise survenue. Je pense ici à EDF (quoiqu'un ancien directeur soit resté pour « cultiver la vigne » sous le soleil). Évidemment, avoir des rentrées d'argent en peso argentin et non plus en dollar et devoir rembourser des prêts contractés en dollar devenait très problématique…
Des emplois furent créés dans de nouvelles bodegas, chez Carrefour ou dans la verrerie, mais c'est bien peu au regard de toutes les restructurations de l'appareil productif des divers cas étudiés.
Mendoza, c'est là où s'est encore concrétisée la substitution de l'homme par la machine. Cela ne s'est pas fait dans le dessein de soulager le travailleur et lui fournir plus de temps à la culture, à la détente et à une vie plus joyeuse et moins aliénante, mais pour alléger dans la majorité des cas les coûts de production, gagner en productivité dans la gestion de l'entreprise et ainsi grossir les marges de bénéfices…
Toujours et encore la crise…
Voilà comment se traduit les réformes du système capitaliste par le néolibéralisme : chômage, appauvrissement général des travailleurs donc hausse de la délinquance et de l'insécurité. Le patronat français se complait dans cette réalité tant que des travailleurs-ses vendangent (pas cher grâce aux immigrés-es boliviens-es et péruviens-es), balayent et nettoient, mettent en rayon, servent, rangent, transportent, font tourner les machines au prix de grands risques, réparent, fabriquent, signent des contrats à durée déterminée, se précarisent et se rendent malades à devoir travailler plus vite pour une vie de merde et une retraite de misère. Des travailleurs-ses qui continuent à produire toutes les richesses tant que leurs maîtres fixent les prix, vendent et « exportent » les profits faits sur leurs dos pour renflouer leurs comptes dans les banques suisses et américaines et assurer ainsi leurs vieux jours et le bien-être de leur descendance.
Dans les crises économiques et inflationnistes, il y a toujours une grande majorité de perdants et une infime minorité pour qui cela n'est qu'une anomalie passagère et sans répercussions dans leur vie de tous les jours. C'est cette bourgeoisie qui se vautre dans le luxe et les mondanités de manière orgueilleuse, hautaine et vaniteuse jusqu'au jour où le peuple commence à en avoir vraiment plein l'cul. De fait, il se conscientise, cesse de courber l'échine, relève la tête et décide de tout détruire pour construire un monde nouveau.
La crise de 2001-2002 dans ce pays nous en a donné les prémices car à force de craindre et bien ça crame tout naturellement. En finir avec la propriété privée pour produire et consommer autrement, ça marche car des expériences autogérées ont été tentées. Gardons à bien à l'esprit que dans la crise qui sonne actuellement, la révolution sociale ne demande qu'à se réveiller !
Paul-André Lefebvre - UR CNT 59/62
Article qui découle d'un mémoire d'histoire réalisé là-bas en 2007-2008 (Les entreprises françaises et la province de Mendoza, actrices de la globalisation néolibérale de l'économie argentine).
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