Publié le lundi 29 octobre 2018
Les salarié•es des plate-formes de logistique colis s’organisent. Réflexion sur le « modèle » Amazon à l’occasion de l’appel des camarades espagnols pour une grève générale européenne le 16 juillet dernier.
Travaille dur, amuse-toi, fais l'histoire... La devise de la firme Amazon, « Work hard, have fun, make history », mêle l'ordre explicite et un enfumage de plaisir et de contribution à l'Histoire ( rien que ça) destiné à faire supporter la surexploitation. Ce 18 juillet, c'était « Prime Day », une opération de promo et de prix soldés visant les abonnés premium. Ce jour-là, le sens de l'histoire et de l'amusement a consisté à faire grève dans ces plate-formes en Allemagne, Espagne, Pologne.
En Pologne, ils utilisent une loi antigrève stricte pour imposer des salaires misérables. L’Allemagne continue à se battre pour une convention collective garantissant les droits de tous et toutes, quel que soit leur centre. En France, les mesures très sévères pour contrôler le temps et la productivité continuent. En Espagne, après l’expiration de la convention collective précédente, les conditions de travail ont été fixées unilatéralement par l’entreprise dans son principal centre logistique. En Italie, où les contrats à durée déterminée sont la norme, il y a des milliers de travailleurs temporaires dans les centres logistiques. Dans le reste du monde, Amazon écrit l’histoire, oui, mais seulement parce qu’elle ne partage peu avec les salarié•es s ses milliards de dollars de bénéfices.
Le 18 juillet, au centre logistique de San Fernando de Henares, près de Madrid, la grève a duré trois jours avec des taux de participation allant jusqu'à 80 % des effectifs, 50% chez les intérimaires, pour réclamer une convention collective spécifique. La police a chargé et matraqué un piquet de grève.
Ce que vend Jeff Bezos, patron de la firme Amazon serait un monde idéal où tous les désirs de consommation seraient accessibles sans délai, d'un claquement de doigts, d'un clic d’ordi. Une com idyllique qui cache des conditions de travail d’un autre âge.
Pour maintenir les cadences, les employé•es d’Amazon doivent constamment revoir leur rendement à la hausse à travers des objectifs intenables. Résultat, la plupart des salarié•es, le plus souvent précaires, craquent au bout de quatre à cinq ans d’ancienneté, psychologiquement et physiquement abîmés.
Pour que ce rendement se mette en place, la direction crée de la concurrence au sein des équipes et n’hésite pas à inciter ses salarié•es à la délation de leurs collègues. Un flicage se fait dans les dépôts par wifi, permettant aux chefs d’équipe de localiser exactement chaque employé•e dans l'entrepôt. Les salarié•es devenus « corporate » gravitent alors automatiquement autour de l’entreprise, des animations recentrant la vie autour de la boîte, en son sein.
Alors que le président Macron traite les zadistes de squatteurs qui ne paient pas d’impôt, il permet dans le même temps que des entreprises comme Amazon pratiquent « l’optimisation » et l’évasion fiscale sans le moindre souci. Les entrepôts s’implantent là où les aides municipales, départementales, régionales voire nationales sont les plus importantes.
Tandis qu’avant nous avions des professionnel•les à notre écoute qui pouvaient nous conseiller dans nos choix d’achat, Amazon vend tout et n’importe quoi, faisant de la culture une catégorie de consommation du même ordre que n’importe quelle autre. À proportions égales, la librairie indépendante génère dix-huit fois plus d’emplois que la vente en ligne, ce qui rend ridicules tous les discours promouvant l’implantation d’Amazon pour réduire le chômage.
Cette philosophie ultralibérale pousse chaque citoyen vers une consommation compulsive, un acte pulsionnel qui annule toute contrainte de temps et d’espace. Une consommation de masse avec une culture pauvre et étriquée autour de quelques artistes et intellectuels. Livres, disques se consommant comme un aspirateur ou de la bouffe, Amazon compte développer la distribution des produits frais dans la même logique.
Nous voulons produire une culture riche, offerte à tout•es, pas uniquement une réponse à un désir obsessionnel guidé par les pubs qu'on nous inflige. Que ce soit pour la culture ou autre chose, nous voulons être maîtres de nos vies.
Syndicalistes révolutionnaires, nous assumons notre double pratique face à Amazon et à son « modèle » : défendre les intérêts immédiats des salarié•es de l’entreprise mais également avoir un regard ¬critique et alternatif sur le type de société et de culture que nous souhaitons mettre en place.
Amazon emploie plus de 65 000 personnes en Europe, et de nouveaux sites sont en construction un peu partout sur le continent. Depuis cinq ans, les débrayages et les appels à la grève se multiplient pour obtenir l’application des conventions collectives, des revalorisations salariales et la préservation de la santé au travail. En Allemagne, depuis le début des grèves en 2013, il y a des augmentations chaque année.
Un rapport de force à amplifier grâce à des actions coordonnées ! La période des fêtes ou les opérations de « super-promotions », qui suscitent des commandes (et des bénéfices) record pour la multinationale, sont de parfaites occasions pour les salariés et salariées d’Amazon pour faire entendre leurs revendications. En novembre 2017, lors du « Black Friday », une grève commune a été organisée en Allemagne et en Italie.
Début juillet, le SIPMCS a tracté devant un entrepôt du 18e arrondissement à Paris et discuté avec des salarié•es.
Parce que ni la culture ni les travailleurs et travailleuses de la culture ne doivent être des marchandises, soutenons l'organisation des salarié•es d’Amazon.
Le SIPMCS
Article publié dans Le Combat Syndicaliste n°438 (Octobre 2018)
Recension du livre En Amazonie, infiltré dans "le meilleur des mondes" de Jean-Baptiste Malet
Le journaliste Jean Baptiste Malet (Médiapart, Bakshich info…) a mené une enquête en immersion dans la multinationale de vente en ligne Amazon. Il y décrit un paternalisme managérial d’un autre temps et une pression quotidienne des cadres sur les employés.
Ce livre part du constat que l’entreprise verrouille sa communication en interdisant aux employés de parler de leur travail et en contrôlant au plus près son image.
Le journaliste décide alors de passer les entretiens d’embauche et débute comme “pickeurs”.
Les employés lui affirment qu’ils sont filmés dans les entrepôts et il découvre la technique de management des 5 “s” inventé par le patron japonais Toyota. En français cela donne ORDRE pour Ordonner, Ranger, Dépoussiérer et découvrir des anomalies, Rendre évident et Être rigoureux ; tout un programme.
Il évoque aussi l’aspect “fun” que revendique la boite, avec des quizz, la fameuse dictature de la bonne humeur et de l’auto-motivation, pathétiques rideaux de fumée sur l’exploitation en cours.
Ce livre donne à voir le quotidien des employés intérimaires de cette titanesque firme et donne d’autant plus de détermination à coordonner internationalement et syndicalement des actions qui perturbent et fassent plier cette entreprise.
Rien pour ce mois